Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 
Compte-rendu d'entretien
Alain Minc - Essayiste

Pourriez-vous nous expliquer votre distinction conceptuelle entre droit à l’indifférence et droit à la différence ? Le premier est-il au second ce que l’assimilation est au repli identitaire ?

C’est en effet ce que je pense. J’établie une distinction entre le droit à l’indifférence et le droit à la différence : le droit à la différence ne doit pas contenir d’affirmation identitaire.

Que pensez-vous de l’outing ? Doit-on faire un délit ? Que vous inspire la trajectoire de certains homosexuels, indignés d’avoir été « outés » et qui sont aujourd’hui les plus prompts à mettre en avant leur homosexualité au service de certaines causes ?

Pour un homosexuel, le coming-out peut être un moyen de se libérer et de s’affirmer. Mais tout comme je suis pour le droit à la différence, je suis favorable au droit à la vie privée. Selon moi, il est inacceptable de lire ou d’entendre des révélations sur la vie privée de certains personnages et notamment sur leur homosexualité : ce n’est pas aux autres de révéler leur situation s’ils ne disent rien à ce sujet.

Croyez-vous que le Pacs ait été un marché de dupes : les conservateurs favorables à son adoption en espérant le substituer au mariage, les progressistes cherchant à l’obtenir pour préparer la voie au mariage gay ?

Le PACS a été une étape. Pour les uns, il permet d’éviter le mariage homosexuel. Mais pour les autres, il a déclenché un engrenage qui y mènera nécessairement. Le vrai sujet n’est toutefois pas là. L’aspiration au mariage homosexuel est en fait une vraie ruse de l’histoire, puisqu’il n’y a plus que les homosexuels qui souhaitent réhabiliter cette institution qui, à bien des aspects, peut apparaître vermoulue ! Et là, il y a un paradoxe, puisque le mariage gay entraîne une véritable revalorisation de l’institution.

Pensez-vous que le législateur puisse ouvrir la voie au mariage gay mais refuser durablement le droit à l’adoption ? Tout bien considéré, est-ce que vous feriez vôtre le discours que vous mettez dans la bouche des homosexuels : « Il vaut mieux l’affection de deux parents de même sexe au ‘gant de crin’ de la DDASS ; l’aléa psychologique est préférable à une marginalité quasi-assurée ; la possibilité de voir se disputer un père et une mère est plus grande que l’étrangeté de vivre avec 2 pères et 2 mères » ?

Aujourd’hui, l’adoption pour les couples homosexuels existe ! Autoriser l’adoption monoparentale rend possible une forme « clandestine » d’adoption pour les couples homosexuels. Le débat doit se situer en amont. Sur ce point, je suis assez perplexe, et je n’ai pas de religion tranchée. Dans mon ouvrage, j’étais plutôt contre l’adoption pour les couples homosexuels, mais j’ai depuis rencontré de nombreuses personnes qui pensent le contraire, pour qui un couple de parents homosexuels est mieux qu’un parent seul. Ils n’ont pas forcément tort. C’est pourquoi ma voix irait désormais plutôt vers le droit à l’adoption.
Ensuite, la vraie question qui se pose concerne la situation en cas de séparation. Car s’il y a un droit au mariage homosexuel, il y aura forcément un droit au divorce. Et dans ce cas, la situation risque d’être pittoresque pour les enfants dont la garde serait disputée.

Vous écrivez : « Par un paradoxe comme la société contemporaine aime à les inventer, votre acharnement à obtenir le mariage et l’adoption apporte une légitimité à la famille bourgeoise traditionnelle qui en a ardemment besoins ». Pensez-vous réellement que la revendication du mariage gay marque le retour en force de l’institution matrimoniale ?

Comme je l’ai dit, le mariage gay apparaît comme un moyen de revaloriser l’institution même du mariage.

Seriez-vous sérieusement favorable à un échange virtuel du mariage, de l’adoption et de la PMA contre l’abandon de réflexes communautaires et l’acceptation du modèle universaliste républicain ?

Cet échange virtuel est un point crucial. Il serait concevable si la communauté homosexuelle était seule à exprimer une revendication communautaire. Or, il est à craindre que cette revendication se perpétuera. C’est pourquoi je n’y crois pas vraiment.

Existe-t-il un vote gay ?

Je ne sais pas.

Pensez-vous réellement que les Français puissent élire un président gay ?

Oui ! La réussite de Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris a permis de changer beaucoup de choses. Bien sûr, une faible minorité ne voterait pas pour un candidat homosexuel pour cette raison, mais le pourcentage de voix devrait être suffisamment faible pour ne pas modifier le résultat de l’élection.

Nous avons initialement pensé à vous interroger, suite au livre que vous avez fait paraître en 2003 intitulé Epître à nos nouveaux maîtres (Grasset, 2003), mais également suite à une intervention télévisée à l’émission de F.-O. Giesbert, « Culture et dépendances », en 2002, au cours de laquelle vous disiez à Pierre Bénichou que vous étiez favorable au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Avez-vous eu l’occasion de vous exprimer à nouveau sur le sujet ?

Non, car je change de sujet avec chaque nouvel ouvrage.

Dans le cas de l’adoption par des personnes de même sexe, comment peut-on combler l’absence de mère spécifique ?

Aujourd’hui, nous n’en savons rien. Il s’agit d’un cas de figure inédit.

Peut-on autoriser l’adoption aux seuls couples lesbiens, et non aux hommes ?

Pourquoi agirait-on ainsi ? Ce serait absurde…

L’arrêt de la CEDH Fretté c./ France du 26.02.2002, conclut qu’un homosexuel célibataire ne peut pas bénéficier du droit à l’adoption. De même, les arrêts de la 1ère chambre civile des 11.07.1989 et 17.12.1997 admettent le caractère hétérosexuel du couple, notamment des concubins. L’arrêt CJCE du 31.05.2001 réaffirme que le mariage est une union entre des personnes de sexes différents. Dès lors, pensez-vous que le changement viendra des tribunaux ou des parlements ? Dans le premier cas, de quels tribunaux ? Nationaux, européens ou communautaires ?

Un tel changement constitue un acte politique extrêmement fort, c’est pourquoi il ne peut venir que par la loi et non pas par les tribunaux.

Quelles améliorations du Code civil proposez-vous en ce domaine ? Souhaitez-vous élargir le droit d’adoption, basé sur une loi du 11 juillet 1966, aux concubins homosexuels ? Aux pacsés homosexuels ? Aux célibataires homosexuels (extension de l’article 343-1 du Code civil qui accorde l’adoption aux célibataires sans mention de leur orientation sexuelle) ?

L’élargissement du droit au mariage et à l’adoption est nécessaire, et il peut effectivement concerner ces différents cas de figure.

Souhaitez-vous modifier les critères d’agrément à l’adoption accordée par la direction des affaires familiales ? L’orientation sexuelle doit-elle être prise en compte dans ce cas ?

Si l’on élargit au maximum le droit au mariage et à l’adoption, l’orientation sexuelle ne doit pas rentrer dans les critères d’agrément pris en compte.

Que pensez-vous de l’état du débat en France en général ? Dans l’imaginaire collectif, le mariage induit-il encore le devoir de procréation ?

La reconnaissance du droit au mariage et à l’adoption est entrain de se faire dans l’opinion : les choses avancent, l’opinion publique évolue.

Et au sein des parlementaires ?

Je ne sais pas…

Existe-t-il un vote gay ? Si oui, n’est-il pas déterministe de penser que l’orientation sexuelle détermine l’intention de vote ?

Je ne crois pas en l’existence d’un vote gay.

Peut-on, selon vous, être homosexuel et être légitimement opposé au mariage homosexuel et à l’homoparentalité, entre autres revendications ?

Bien sûr ! C’est possible. Les homosexuels peuvent très bien être contre l’homoparentalité et le mariage homosexuel.

Quel mouvement politique est le plus à même de faire avancer les idées favorables au mariage ? et à l’adoption ? Comment expliquez-vous ce phénomène?

Ce sera plus facile pour la gauche que pour la droite de faire avancer les choses dans ce domaine. Le paradoxe de la politique française est que la gauche est libérale en matière sociale, mais pas dans le domaine économique. Au contraire, la droite est parfois libérale en matière économique, mais beaucoup plus rarement dans le domaine social. Les choses bougent avec Nicolas Sarkozy, mais sur ce point il est décalé par rapport à son électorat. Il fait évoluer la droite, mais culturellement, celle-ci est plus réservée sur ces questions.

Depuis le 21 avril 2002, certains affirment que le PS s’est placé dans une logique de défense du peuple et non des minorités, ce qui l’a conduit à considérer comme secondaires le problème des discriminations homophobes, comparé à l’importance de la lutte contre les inégalités sociales. Mais ces deux mouvements ne forment-ils pas le même créneau ?

La lutte contre les inégalités sociales et les discriminations homophobes sont deux choses différentes qu’il ne faut pas mettre sur le même plan. La discrimination homophobe est une discrimination parmi d’autres, elle n’est pas acceptable. Les inégalités sociales sont quant à elles inhérentes à notre société, et elles peuvent parfois être légitimes.

La revendication du mariage sera-t-elle dans le programme du PS en 2007 ?

Il m’est impossible de le savoir et d’y répondre…Peut-être, pourquoi pas.

La droite est-elle capable d’une telle réforme ?

La droite est plus conservatrice que la gauche, donc moins à même d’aller dans le sens.

Pensez-vous qu’on puisse, sur ces questions, assister à certaines alliances transpartisanes entre de fortes personnalités ou entre des partis de droite et de gauche ?

Oui, bien sûr.

Le mariage permettrait-il aux homosexuels de rentrer dans le rang ? Est-ce une forme d’embourgeoisement ? Accorder l’adoption aux couples unisexes est-il un stratagème pour les intégrer dans la normalité, et donc les faire voter à droite ? Assiste-t-on à l’émergence de conservateurs gays ?

Rentrer dans le rang est ce que souhaitent les homosexuels. Mais le communautarisme demeure, car les communautarismes ont le vent en poupe.

Que pensez-vous de la pénalisation des propos homophobes ? Aucune mesure « éducative » n’est prévue dans la loi instaurant la H.A.L.D.E. En clair, en matière de socialisation des homosexuels, on semble se contenter de la répression de l’homophobie… Pourquoi les Français, l’un des peuples les plus libres au monde, ne peuvent-ils s’empêcher de voter des lois toujours plus coercitives ?

Il peut être normal de réprimander les insultes, encore faut-il éviter les abus… Le problème est qu’en France, la loi doit intervenir pour concilier les citoyens. C’est la loi qui réprime les propos antisémites ou négationnistes. Par ailleurs, la culture française est différente de la culture américaine. Aux Etats-Unis, le premier amendement à la Constitution garantit la liberté d’expression d’une manière très large, quels que soient le type de propos. La France n’a pas cette tradition. La récente loi constitue surtout une nouvelle étape dans le processus français selon lequel les propos à caractère d’insulte contre des groupes sociaux déterminés sont interdits.

Etes-vous en mesure de percevoir une opinion publique européenne globale sur le mariage pour les couples de même sexe ? Et sur l’adoption ? Depuis l’élargissement, la fracture entre les 15 pays occidentaux et les 10 pays de l’ex-bloc de l’Est a-t-elle diminué ?

Je crois en l’existence d’une opinion publique européenne. Le fait que l’Espagne, un pays très catholique, et les Pays Bas, un pays calviniste, évoluent selon des voies comparables montre qu’il existe une ligne sous-jacente.

Selon vous, l’évolution de la jurisprudence de la CEDH est-elle influencée par les sondages euro-baromètre ou plutôt par l’état des jurisprudences nationales ?

Dans le cas des sondages, l’influence est généralement mutuelle.

Pensez-vous, comme le sociologue Eric Fassin, que le débat évoluera plus rapidement en France lorsque des pays du Sud de l’Europe adopteront des lois plus « progressistes », avant les Français, alors que ces derniers ont tendance à les mépriser sur le plan de l’évolution des mœurs ?

Ce qui se passe en Espagne est très important, car l’Espagne est un pays catholique, avec une tradition moins ouverte sur ces questions. Son évolution aura certainement des incidences.

Estimez-vous que, sur ces questions, le droit est en retard sur la société ?

Oui, le je pense.

De 1982 (dépénalisation) à 1999 (Pacs), le législateur n’a pratiquement pas légiféré sur les questions liées à l’homosexualité. Aujourd’hui, ces questions semblent au centre d’un véritable débat de société. A quoi attribuez-vous cette accélération ? Est-ce dû à une simple évolution des mentalités ?

Je pense que les homosexuels sont devenus une sorte de lobby important qui s’assume ainsi et qui comporte de fortes solidarités entre ses membres. Cela explique l’accélération du débat de société sur ce thème.

En France, à quand estimez-vous la chose possible ? Que peut-on attendre de la France d’ici à 2007 ?

D’ici 2007, il ne devrait pas y avoir d’évolution. Peut-être après.

Pensez-vous que toutes les sociétés occidentales seront conduites, tôt ou tard, à reproduire les « avancées » sociales hollandaises ?

Le fonctionnement de la société hollandaise est très différent de celui de notre société française. Cela tient notamment à la différence de religion entre un pays calviniste et un autre catholique. En fonction de la religion, on ne vit pas la contrainte de la même manière. Les calvinistes ont la grâce ou ils ne l’ont pas, ils peuvent vivre leur vie, tandis que la situation est différente pour les catholiques. Toutefois, leur modèle n’est pas si stable et si sûr, il convient donc de se méfier avant de le prendre comme référence.

Les homosexuels peuvent-ils et devraient-ils être reconnus comme une minorité nationale ? Se dirige-t-on vers la création d’un organisme institutionnel représentatif des gays ?

Et puis quoi encore ? Non, les choses ne doivent pas évoluer ainsi.

Peut-on considérer que l’ensemble associatif de défense des gays représente les convictions de l’ensemble des homosexuels de France ?

Les associations gays ne représentent pas l’ensemble des homosexuels : elles n’incarnent que la part la plus militante.

Existe-t-il une communauté homosexuelle ? Comment la décririez-vous ? Peut-on parler de lobby homosexuel et que pensez-vous de son efficacité le cas échéant ? Est-ce qu’il existe une culture « gay » ? Que pensez-vous du lancement de la chaîne « Pink TV » par rapport à l’image des gays en France ?

Certains homosexuels s’affirment comme étant une communauté, ce n’est pas le cas de tous. Aujourd’hui, néanmoins, l’affirmation homosexuelle concerne surtout les bourgeois-bohèmes. C’est justement le public visé par Pink TV.

La fracture Paris / Province est-elle toujours aussi vivace dans le quotidien des homosexuels ?

C’est effectivement une fracture importante. Paris et les grandes villes s’accompagnent d’une mentalité très différente de la province profonde.

Pensez-vous que l’homosexualité et les revendications liées ne feront un jour plus débat pour être pleinement acceptées par l’opinion publique et intégrées à la société ?

L’homosexualité finira par être pleinement acceptée. C’est le chemin actuellement suivi.

Sommes-nous toujours dans un ordre hétérosexué, i.e. dominé par les hétérosexuels ? Considérez-vous l’hétérosexualité comme une norme à laquelle l’homosexualité ferait exception ?

L’ordre hétérosexuel ne correspond plus à la réalité. La puissance du lobby homosexuel m’impressionne. Peut-être se dissoudra-t-elle avec le temps, et n’est-elle liée aujourd’hui que par un sentiment de revanche. C’est à voir.

Comment percevez-vous l’impact de la célébration du mariage de Bègles par Noël Mamère, le 5 juin 2004 ? Cette « provocation » a t'elle fait « reculer le débat » en brusquant les électeurs ?

Pour moi, ce mariage est une pitrerie, et à ce titre, je le déteste. Son annulation est normal : c’est la loi. Sur ces questions, comme je l’ai dit, l’évolution ne se fera que par la loi, pas par les tribunaux.

Le 30 novembre 2004, un rapport portant sur les améliorations envisagées pour le Pacs a été remis au Garde des Sceaux. Pensez-vous que certaines dispositions seront modifiées d’ici à 2007, par exemple le régime patrimonial, passant de l’indivision à la séparation de biens ?

Rien ne se passera d’ici à 2007.

Etes-vous optimiste ?

Oui.

Les Français estiment-ils que si l’on accorde le mariage, on accordera l’adoption ? A l’inverse, jugent-ils le mariage incontournable pour permettre l’homoparentalité ? Le mariage et l’adoption seront-ils légalisés en même temps, comme ce fut le cas aux Pays-Bas ?

Je ne pense pas. A mon avis, le mariage sera d’abord légalisé, puis ensuite un mécanisme progressif se mettra en place avant que le droit à l’adoption ne soit reconnu dans la loi.

Selon vous, la parité scelle-t-elle l’irréductibilité de la différence des sexes comme fondement de la société ?

Je n’approuve guère la parité telle qu’elle a été mise en place.

Une société peut-elle survivre sans interdit ? Exemple : l’inceste.

On ne peut pas savoir. La société évolue vite et fortement. Il y a 100 ans, l’adoption pour des couples homosexuels aurait été inimaginable.

Le droit au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe est-il inéluctable ?

Je pense que ce droit se réalisera.