Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 

Compte-rendu d'entretien
Jean-Daniel Lévy - CSA
Départemement Opinion-Institutionnel

Votre institut de sondage (CSA) a réalisé une enquête d’opinion en mai 2004 sur le thème « Les Français, le mariage des homosexuels et l’adoption ». Y a-t-il eu de nouvelles enquêtes depuis ?

Non. La réalisation de ce type d’enquête est assez conjoncturelle. Elle correspondait à un débat d’actualité soulevé au moment où le sondage a été réalisé. La demande de sondage est généralement liée à l’actualité et, ici, à la volonté de faire le point sur la position des Français vis-à-vis du mariage homosexuel.
Ce type d’enquête, assez précise, peut éventuellement être étayée grâce aux études qualitatives sur d’autres thématiques liées, notamment sur la place de la famille aujourd’hui. Mais il n’existe pas d’autre sondage spécifique à cette question.

Peut-on définir des grandes tendances en fonction du positionnement politique des personnes sondées, mais aussi de leur pratique religieuse, de leur sexe ou de leur âge ?

Dans les années 1970, il était encore possible d’établir une corrélation entre la situation sociale et les structures idéologiques. Depuis, le positionnement politique joue de plus en plus à la marge sur les questions de société. Cela ne veut pas dire qu’elle ne joue plus : elle peut encore avoir un certain rôle. Mais son importance est moindre.

Il existe aujourd’hui deux discriminants principaux permettant d’établir une grille de lecture.
- L’âge. Plus on est âgé, plus on a tendance à être opposé au mariage homosexuel.
- Le niveau de diplôme. Plus on est diplômé, moins a tendance à y être opposé.

L’étude réalisée en mai 2004 montre une nette décrue de l’opposition au mariage homosexuel selon l’âge. Autant les plus de 50 ans se montrent hostiles à cette question, autant les plus jeunes y sont favorables. Parmi les plus de 65 ans, deux personnes interrogées sur trois rejettent cette possibilité.
Les plus âgées ont donc à l’égard du mariage des couples de même sexe, et plus généralement à l’égard des homosexuels, un regard plus distant, qui se traduit par une forme d’incompréhension. Cette situation peut être expliquée par le fait que, dans le passé, l’homosexualité était un phénomène beaucoup plus caché, moins exposé sur la place publique.
La question du rapport des Français vis-à-vis du mariage homosexuel n’a pas été croisée avec la pratique religieuse des personnes interrogées. Sur ce point, il est important de préciser qu’il est préférable d’évoquer la pratique plus que la croyance religieuse, puisque la majorité des Français se déclarent catholiques sans pratiquer et se comportent comme les personnes ne se déclarant pas comme tels. Toutefois, les plus de 65 ans étant plus imprégnés par la culture catholique, il convient d’en déduire que ces personnes ont connu une socialisation différente de celle à laquelle nous pouvons être confrontés aujourd’hui. Dans leur éducation morale et religieuse, l’homosexualité était vue comme un travers contre lequel il faillait lutter, d’où leur incompréhension actuelle.

De même, si 35% des personnes sans diplôme ou ayant un niveau d’étude primaire se déclarent favorables au mariage homosexuel (contre 62% opposés), cette proportion monte à 68% pour les diplômés du supérieur. Nous sommes bien confrontés ici à deux catégories différentes, ayant des moteurs de réflexion différents. Les plus diplômés ont une plus grande ouverture d’esprit, un plus grand recul à l’égard des pratiques cultuelles, une perception plus ouverte de la société et des libertés individuelles.

Ensuite, concernant les tendances en fonction du positionnement politique, les personnes se réclamant de gauche sont à 65% favorable à l’union des personnes de même sexe, tandis que celles se réclamant de droite y sont inversement opposées.
Au sein des familles politiques, le regard peut également être plus ou moins intense sur cette question. Les sympathisants du Parti Communiste, souvent plus populaires, sont dans leur ensemble plus réservés que ceux du Parti Socialiste, alors que ceux des Verts, généralement plus jeunes et plus diplômés, se montrent les plus favorables à gauche. Ainsi, ces différentes approches sont fonctions des catégories de population concernées.

Pourtant, les époux de Bègles étaient d’origine populaire. De même, Jean-Marie Le Pen a évité de tenir des propos trop homophobes lors de cette « affaire ». Certains feraient-ils un fantasme de « l’homosexualité bourgeoise » ?

Les homosexuels qui réussissent sont plus mis en avance que les autres, et ceux-ci sont souvent plus « cigales » que « fourmis »… Mais il n’existe pas de gène qui indiquerait que l’on soit homosexuel et prédisposé à occuper un poste à responsabilité, tandis que l’on serait à l’opposé hétérosexuel et ouvrier ! Les catégories supérieures acceptent plus facilement l’homosexualité, mais cela est une question de perception et ne traduit pas forcément une certaine « réalité ».
Quant aux réactions des formations politiques après le mariage de Bègles, elles peuvent traduire la volonté d’être en prise avec un certain électorat. Ainsi, les propos de Jean-Marie Le Pen peuvent avoir valeur de message interne au sein de l’extrême droite (soutien à sa fille).

Le sujet reviendra-t-il d’ici à 2007 ? Sera-t-il présent à ce moment, notamment dans les programmes électoraux, comme celui du PS ?

Il n’est pas possible de le dire aujourd’hui…
Le programme du PS devra en outre être dissocié de celui du candidat du PS lors de l’élection présidentielle, et sur ce point, la solution dépendra de l’identité du candidat. Ainsi, Dominique Strauss-Kahn s’est prononcé pour le mariage homosexuel. Ce n’est pas la même position que celle défendue par le bureau politique du PS, tout du moins la question n’est-elle pas abordée sous le même angle. Il est certain qu’aujourd’hui, il ne s’agit pas d’une priorité pour le PS, en témoignent les réactions peu enthousiastes après le mariage de Bègles.
Quant à savoir si la question se reposera dans un avenir proche, il est impossible de le savoir aujourd’hui. Plusieurs choses peuvent survenir et modifier les termes de la question. La réponse n’est pas à trouver sur une courte période.

Selon le sociologue Eric Fassin, le PS cherche plus à défendre le peuple qu’une minorité. Ce serait une des leçons du revers électoral du 21 avril 2002. Par conséquent, le mariage homosexuel n’est pas une question de premier ordre. Qu’en pensez-vous ?

Cette question conduit à s’interroger sur la capacité de chacun à prendre place dans ce débat, sur la place de la République et la manière dont elle doit fonctionner. Traditionnellement, la République ne favorise pas des considérations particulières en fonction des particularités de chacun. Ceci est par ailleurs valable pour toute question de société. De manière générale, il est toujours difficile d’articuler la défense de l’intérêt général en fonction des attentes et des inquiétudes de certaines catégories de population. De 1997 à 2000, le comportement du Gouvernement Jospin a été influencé par cette vision et cette pratique républicaine de la société.
Un sondage IFOP/Elle réalisé à l’occasion du mariage de Bègles a révélé que, à partir de formulations différentes, les scores obtenus ont été très différents. Elle aborde en effet le problème sur la question des droits. Sur ce point, les Français sont ouverts : on ne refuse pas un droit en France. Cette différence de formulation permet de comprendre les attitudes prises par les Français à l’égard de ce qu’ils pensent devoir être la République. Ensuite seulement intervient le jugement individuel.

Pensez-vous que les associations, souvent très revendicatives, adoptent une bonne stratégie en réclamant l’égalité des droits et en luttant contre toutes les formes de discriminations ?

Un acte fort n’est pas forcément le fait d’une association. Souvent, celles-ci accomplissent plus des actions de lobbying que d’alerte de l’opinion publique.
Ainsi, le mariage de Bègles s’est produit à un moment où il n’y avait pas vraiment de préalable ou de débat sur cette question. Du coup, le débat engendré par cette affaire n’était pas très serein, car essentiellement basé sur la question de la légalité de l’acte du maire. Lorsque Noël Mamère a accepté de célébrer ce mariage, il a surtout voulu donner suite à une demande qui lui a été faite. Ensuite seulement se sont posées d’autres questions, notamment quant au lien entre le droit au mariage homosexuel et l’adoption d’enfants par les homosexuels.
Pour les Français, se marier et avoir des enfants vont ensemble. La question du mariage homosexuel et de l’homoparentalité sont donc intimement liées dans l’imaginaire collectif.
Un débat préalable aurait certainement été nécessaire, ou au moins une meilleure articulation des événements, sans se focaliser sur le Code Civil et son interprétation. En effet, la République a-t-elle son mot à dire sur cette question ? Est-ce souhaitable ? Ces différents éléments auraient pu être plus mis en avant.
Le fait que les deux personnes unies soient des hommes a pu jouer également. Les Français n’auraient pas eu la même perception s’il s’agissait de deux femmes, car la menace pédophile aurait disparu, et les termes du débat auraient été différents. Ici également, cette différence de réaction aurait été liée à la question des enfants.

Toujours selon Eric Fassin, si des pays d’Europe du Sud, comme l’Italie ou l’Espagne, adoptent une politique plus progressiste sur ces questions, cela influera sur la vision que peuvent avoir les Français. Etes-vous d’accord ?

Cela peut avoir un rôle et interroger les Français, mais ce n’est pas sûr non plus. Il ne faut pas être systématique. Par exemple, concernant la dépénalisation des drogues dites douces, la France fait l’objet d’une certaine exception puisque sa législation est des plus rigides.
En réalité, il n’existe pas de fatalisme historique selon lequel la France serait nécessairement en retard ou en avance par rapport à ses voisins. Il existe certes des raideurs, mais les choses peuvent bouger. En l’état actuel des choses, il est difficile de dire ce qui se passera demain. La clarification du débat est nécessaire, notamment en fonction de notre conception républicaine et de la manière dont elle nous entraîne à considérer les citoyens.
Une telle évolution à l’étranger peut interroger les Français. A ce titre, les réformes réalisées dans l’ensemble des pays européens compteront, et pas seulement celles adoptées dans les pays latins.

Votre étude a montré que la France n’est pas un pays homophobe. Peut-on néanmoins dire que, sur les questions qui y ont été abordées, le droit est en retard sur la société ? Plus largement, le droit doit-il avoir un impact sur l’opinion ?

Sur toutes les thématiques, le droit est généralement en retard sur la société. Il s’agit du cours normal des choses. Le droit peut-il bousculer certaines attentes ? En fait, ce serait plutôt le contraire : c’est la société qui a tendance à bousculer le droit. Les responsables politiques votent les lois en fonction des évolutions de la société. Ainsi, par exemple, la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse correspondait à une attente forte de l’opinion.
Il existe toutefois des contre-exemples. C’est le cas de l’abolition de la peine de mort.
Sur l’homosexualité, le PACS ne correspondait pas véritablement à une forte attente sociale. Il s’agissait plus d’une attente politique. Il n’y a pas eu de forts remous dans la société car elle en avait une approche dépassionnée. Cette réforme n’a pas nui à la gauche, mais elle n’a pas non plus conduit les Français à voter en masse pour elle.
Avec le PACS, la question du mariage homosexuel perd en partie de son sens, puisqu’elle est perçue comme s’adressant à une catégorie particulière de Français.

Entre 1982 et 1997, il y a eu peu de législation concernant l’homosexualité. Depuis, l’élaboration de textes sur ce thème s’est accélérée, même sous des gouvernements de droite, en témoigne les dernières réformes portant sur la partie fiscale du PACS ou sur la création de la HALDE. Cette évolution montre-t-elle qu’il est désormais possible de traiter les problèmes de société de manière dépassionnée ?

Tout à fait. Notamment parce que la droite souhaite changer son image héritée des débats sur le PACS en 1999, où elle est apparue homophobe et réactionnaire, ne correspondant pas aux attentes des Français. Certainement doute-t-elle, mais du moins n’exprime-t-elle plus de rejet.

Le mariage homosexuel est-il inéluctable ?

Il ne l’est pas tout de suite, mais les termes du débat sont posés.
Il existe de nombreux retards en France en matière de mœurs. L’esprit républicain qui y règne fait que l’intérêt général doit prédominer, ce qui accorde une conception différente de la place que doit occuper chaque individu dans la société.
Les réformes peuvent toutefois avoir lieu. La gauche accorde une place plus importante à ces questions, même si elles ont plus de chances de venir de la droite. En effet, elles semblent apparaître plus logiques venant de Nicolas Sarkozy que de François Hollande ou Laurent Fabius, lesquels mettent plus en avant une vision globale socialiste.

Peut-on qualifier les approches développées par Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang de multiculturalistes ?

Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang posent des enjeux qui traversent la société, sans qu’il y ait forcément des retombées sociales au quotidien.
Cependant, même si le but recherché est le même, la question serait abordée différemment par Nicolas Sarkozy, qui a une optique axée sur les droits, que par Dominique Strauss-Kahn, qui recherche l’égalité. Nicolas Sarkozy développe une vision ouverte, libérale, sur les questions de société.

Certains pensent qu’avec le PACS, les homosexuels ont obtenu une certaine forme de tolérance, mais qu’ils n’auront de véritable reconnaissance qu’avec le mariage. Cette évolution ne traduit-elle pas pourtant une forme de compassion à l’égard de cette communauté, à travers une gradation « acquisition de droits, de libertés puis de l’égalité » ?

D’abord, il est difficile de parler de communauté homosexuelle en tant que telle. Une communauté implique un aspect construit, le fait qu’une valeur l’emporte sur d’autres. Or, pour les homosexuels, la défense des droits des homosexuels ne prend pas forcément le pas sur les autres revendications. L’appartenance à une minorité renforce un sentiment d’union, mais il n’est pas sûr que tous les homosexuels, ouvriers et cadres, souhaitent être reconnus en tant que tels. Ils désirent plus accéder à la normalité, et être vus comme des couples ordinaires.
Ainsi, pour eux, il n’y a rien de honteux ni d’extraordinaire ou de spécialement valorisant à avoir des pratiques homosexuelles. Ce qu’ils souhaitent, c’est d’avoir le droit, comme tous les autres citoyens, de se marier et d’avoir des enfants.

Concernant l’homosexualité, l’égalité des droits permet-elle la liberté de choix ?

Oui, tout à fait.

S’il n’existe pas de communauté gay unie, peut-on toutefois parler de culture gay ?

Non, il n’existe pas de culture gay à proprement parler. Ce n’est pas la même chose que d’être homosexuel dans le Marais ou en Province !
De manière générale, il est difficile de parler de l’existence de communautés en France, puisque cela impose l’existence de représentants pour ces éventuelles communautés. Or, cela ne va pas de soi.

Serait-il nécessaire d’avoir un organisme représentatif des homosexuels, ne serait-ce que pour avoir un interlocuteur sur les questions liées à l’homosexualité ?

Les comportements évoluent, mais une telle évolution serait rejetée par les citoyens. Il n’existe personne pour souhaiter accorder des droits spécifiques à certaines catégories de population. Au contraire, la tendance va plutôt vers plus d’égalité entre les citoyens.

Existe-t-il un lobby gay ? A-t-il un rôle sur l’opinion ?

Il n’existe pas d’éléments pertinents pour pouvoir répondre à cette question…