Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 

Fiche de lecture
Sur cet instant fragile
, Didier Eribon, Fayard, 2004.

Didier Eribon est philosophe. Professeur Invité à l’université de Berkeley (Etats-Unis). Il est l’auteur de Michel Foucault (Flammarion, 1989), Réflexions sur la question gay (Fayard, 1999), Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet (Fayard, 2001), Hérésies. Essais sur la théorie de la sexualité (Fayard, 2003).

Origines de l'ouvrage

Didier Eribon écrit ce livre en réaction au mariage de Bègles. A l'origine, avec Emmanuel Pierrat, Daniel Borrillo, Caroline Mécary, Eric Fassin de ce phénomène médiatique, il réagit à l'accumulation de prises de positions déclenchées par cet acte de "désobéissance civile". Face à la libération de la parole publique sur la question de la légalisation du mariage homosexuel et de l'homoparentalité, il entend défendre la position tenue, et revient sur quelques thèmes qui lui sont chers. C'est donc un récit de cette "provocation" qu'il livre, mais surtout une réflexion sur le rapport de l'homosexuel, par le truchement de figures homosexuelles comme Genet, Gide, Jouhandeau.

Retour sur la figure de l'homosexuel conservateur

Eribon s'attarde sur la figure controversée de Jouhandeau, déjà abordée dans Réflexions sur la question gay ou Hérésies. Il s'interroge sur la question que pose l'homosexuel conservateur, voire réactionnaire. On sait que dans Réflexions sur la question gay la réponse à cette interrogation amenait Eribon à admettre l'hypothèse que la légalisation du mariage pour les couples de même sexe ne signifierait pas une révolution progressiste se diffusant à l'ensemble du corps social.
Ici la conclusion est autre. Eribon émet l'idée que cette révolution légale pourrait être aussi une révolution anthropologique, que l'on ne peut renoncer à cette volonté de changer la société.

L'Homosexuel en marge

Plus largement, c'est la figure de l'homosexuel en marge qu'analyse Eribon. Jouhandeau ? Est marginal, à sa façon également. C'est le rapport de (des) l'homosexuel(s) au mariage, donc à la norme, qu'interroge le philosophe, revenant sur la figure de Genet, image de l'homosexuel "maudit", à travers des textes de Sartre sur son ami. Reprenant une figure déjà analysée par l'historien Georges Mosse, il souligne que Sartre voyait en son homosexualité un amour des bourreaux, qui renvoie aux rapports de l'écrivain au nazisme.

Devant cette thématique riche et complexe, Eribon repense ce rapport à la société que décrivaient Foucault, Deleuze, dans le manifeste de 1973 se réclamant de la destinée marginale d'hommes et de femmes différents de la société, conscients de cette différence et prêts à en assumer les conséquences.

Au final, quelle doit être la place d’un homosexuel dans notre société ? Son identité doit-elle se réduire à sa sexualité ? Si je ne revendique pas le mariage pour moi-même, ne dois-je pas pour autant le revendiquer pour les autres, au nom de l’égalité des droits ?

L’ouvrage de Didier Eribon ouvre ces différentes pistes de réflexion, tout en retraçant de manière originale les quelques mois si particuliers qui ont suivi pour lui et ses compagnons la « provocation » (Noël Mamère) de Bègles.