Parlons d’abord de la décision de la
Cour d’Appel quant au mariage que vous aviez organisé
entre votre mairie de Bègles, qui en confirme l’annulation.
Ce mariage était-il selon vous juridiquement possible
?
Je savais que je risquais d’être
condamné par la justice, mais j’ai pris cette
décision avec pour objectif d’ouvrir un débat
juridique et de société et de tester les limites
de la justice en France. Le débat a eu lieu ; pas une
seule famille française n’a pas parlé
du mariage, ce qui est bon pour la démocratie, plutôt
que de garder ce genre de sujet tabou sous le boisseau.
Je pensais bien que la justice, sous l’influence du
gouvernement – car c’est M. Perben qui a donné
des ordres au Parquet pour me harceler pendant plusieurs mois
– ne laisserait pas passer l’affaire. Je voulais
qu’elle s’en saisisse, qu’elle montre ses
limites, et qu’on se retrouve devant la CEDH, ce vers
quoi nous allons aller. Celle-ci, avant de se prononcer, va
regarder ce qui se passe dans les autres pays de l’Union
Européenne. Elle constatera que les Pays-Bas, la Belgique
et maintenant l’Espagne, ont ouvert le mariage à
des personnes de même sexe. Donc j’espère
qu’elle validera ce mariage.
Pensiez-vous que le débat
autour de ce mariage prendrait la tournure qu’il a pris
?
Je n’imaginais néanmoins pas
une seconde que le débat prendrait cette ampleur. Je
savais que ça bougerait mais pas à ce point.
Je n’ai pas été surpris par l’hypocrisie
des hommes politiques, en particulier du PS qui venaient me
déclarer hors-la-loi, ce qui est normalement le boulot
du juge qui fixe le droit dans ce pays. Ce sera donc au final
une décision de la CEDH. J’ai donc mis le doigt
sur quelque chose de tabou.
N’y avait-il pas d’autre
moyen de faire avancer votre cause ?
Je n’avais pas d’autre moyen
de le faire, car l’Assemblée Nationale refuse
de d’examiner la question du mariage homosexuel, surtout
avec la majorité actuelle. Depuis le 7 juin, il y a
une proposition de loi en ce sens, et l’Assemblée
Nationale pourrait s’en saisir si elle le voulait, mais
je doute qu’une loi aie une chance de voir le jour sous
cette législature. Le PS avait annoncé une proposition
de loi en septembre 2004 ; elle n’a toujours pas vu
le jour.
Seriez-vous prêt sur ce sujet
à collaborer avec d’autres forces politiques
?
Je suis prêt sur ce sujet à
collaborer avec n’importe quel parti politique. Est-ce
que les autres partis politiques sont prêts, je n’en
suis pas convaincu. A l’Assemblée Nationale,
les clivages sont très respectés, même
au sein de la gauche, donc je doute qu’une alliance
se fasse au-delà des clivages.
Le mariage homosexuel est-il un pré
requis pour la légalisation de l’homoparentalité
?
L’adoption existe déjà.
Il y a à peu près 120 000 enfants élevés
par des couples homosexuels, via une adoption par des familles
monoparentales. On autorise des personnes seuls à adopter
des enfants, mais pas des couples de même sexe.
Levons l’hypocrisie. Admettons qu’un enfant soit
adopté par un homme. Et que celui-ci l’élève
avec un autre homme. Et que celui-ci disparaisse avant que
l’enfant n’aie 18 ans. L’un donc survit,
on lui enlève cet enfant pour le mettre en famille
d’accueil. Croyez-vous que ce soit bon pour l’enfant
? Il faut donc regarder les choses en face. Aux Etats-Unis,
les études montrent que les enfants élevés
par des couples homosexuels n’ont pas plus de problèmes
que les autres.
Les opposants au mariage homosexuel
avancent la nécessité de l’altérité
sexuelle au sein du couple pour un développement équilibré
de l’enfant. Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas que des études plus
approfondies soient nécessaires. Il faudrait plutôt
se préoccuper des familles dans lesquelles sévissent
des violences familiales, etc. L’altérité,
les enfants la construisent, comme l’ont montré
des psychiatres comme Elizabeth Roudinesco et d’autres.
Le droit est-il selon vous en retard
sur la société sur ce thème?
Je pense que c’est la société
qui n’est pas encore mûre pour ça. Enfin,
il faut relativiser. On s’est rendu compte à
travers les enquêtes d’opinion que les Français
sont majoritairement en faveur du mariage. Mais la frilosité
est une grande marque des hommes politiques français.
Il faut se souvenir de l’interview qu’avait donné
Jacques Chirac au magazine homosexuel Têtu. Mais Jacques
Chirac est aussi l’homme qui a lancé l’appel
de Cochin en dénonçant l’Europe de l’étranger
et qui maintenant défend la constitution européenne.
Ce sont ses troupes qui ont voté contre le PACS et
qui en disent aujourd’hui les pires ignominies. Aujourd’hui,
Chirac et Raffarin disent qu’il n’y a pas mieux
que le PACS. Pour moi, ça n’était qu’une
étape. Eux veulent maintenir les choses en l’état,
c'est-à-dire considérer qu’il peut toujours
y avoir des citoyens de seconde zone, du fait de leur orientation
sexuelle. Comment peuvent–ils le faire alors que le
projet de constitution indique que toutes les discriminations
sexuelles doivent être bannies ? Leur position n’est
pas tenable.
Parlons de leurs autres réformes. La double peine n’a
pas réellement était réformée.
La gauche a déjà payé sur le sujet son
manque de courage, notamment lors d’un certain 21 avril.
Mais Sarkozy, lui, nous a balladé. Il nous a fait croire
qu’il l’avait réformé, alors qu’en
fait, ses victimes sont toujours dans des situations extrêmement
délicates.
En réalité, c’est à la gauche d’ouvrir
le mariage à des personnes de même sexe, mais
on n’en est toujours pas là.
Existe-t-il un consensus à
gauche sur la façon de faire évoluer les choses
?
Sur l’adoption, la gauche est divisée.
Un certain nombre sont encore très conservateurs et
voient ça d’un mauvais oeil, alors que la gauche
devrait être en pointe sur ces questions.
Sur la législation européenne, vous avez un
rapport de 1992 de Mme Claudia Rote incitant à ouvrir
le mariage à des personnes de même sexe. Les
Pays-Bas, la Belgique et l’Espagne l’ont suivi.
L’Europe a toujours servi à faire avancer les
droits. C’est donc à l’Europe de montrer
l’exemple et donc de proposer une législation
qui s’impose à l’ensemble des pays de l’Union.
Parce que c’est la conquête d’un droit qui
ne supprime pas les droits des autres, ni n’empiète
dessus. Pourquoi s’opposer à la conquête
d’un droit inoffensif pour autrui ?
Si la gauche devait avoir programme commun en 2007, elle devrait
avoir à se prononcer dessus. Est-ce incontournable
? Je ne sais pas encore. Il faut en discuter avec l’ensemble
des partenaires de la gauche.
Que pensez-vous de la co-parentalité
?
Je ne suis pas contre. Le livre de Filoche
sur le sujet est très bon. On a de très bons
exemples, comme au Royaume Uni. C’est très bien,
mais je pense que cependant que c’est éminemment
individuel et qu’on ne peut pas institutionnaliser ça
de cette manière. Il faut emprunter un autre chemin
sur ce sujet.
Pensez-vous que le mariage soit toujours
à notre époque une institution pertinente ?
Il mérite en tout cas une révision
sensible. Le mariage a été institué en
1804 par le Code Civil. Ca fait donc deux siècles.
L’homme avait encore autorité sur la femme –
ce n’est qu’au cour des années 70 que la
Cour de Cassation est intervenue, notamment quant à
l’autorité du père.
Le mariage, c’est une invention du Moyen-Age. D’ailleurs
les Juifs et les Protestants étaient interdits de mariage
pendant très longtemps. C’est une histoire de
dote essentiellement. Ce n’est en tout cas pas le plus
important dans l’éducation et le développement
d’un enfant.
Les associations homosexuelles en
France sont-elles représentatives ? La gauche a-t-elle
plus de légitimité que la droite à prétendre
représenter les homosexuels ?
En ce qui concerne les associations, je pense
que de part leur travail militant sur le terrain, elles sont
en effet représentatives. Quant à l’opposition
droite – gauche et sa pertinence quant au combat des
homosexuels pour conquérir leurs droits, je dirais
que la gauche a toujours été plus ouverte que
la droite sur ce sujet.
En revanche, je ne comprends pas qu’on puisse être
au Front National et être homosexuel. Je ne comprends
pas ce que des homosexuels puissent être au Front National
alors qu’il combat les droits des homosexuels.
La droite va-t-elle apporter modification
au PACS ?
C’est déjà fait, proposé
par le Premier Ministre qui a demandé un rapport sur
ce qui pourrait être fait en la matière.
Que pensez-vous des propos de certains parlementaires
de la majorité parlementaire, farouchement hostiles
au mariage homosexuel et qui se sont exprimés en des
termes particulièrement polémiques sur le sujet
?
Je pense que des gens comme M. Vanneste devraient être
virés pour les propos qu’ils ont tenus. La droite
ne devrait pas tolérer de propos homophobes en son
sein.
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