Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 

Compte-rendu d'entretien
Noël Mamère - député


Parlons d’abord de la décision de la Cour d’Appel quant au mariage que vous aviez organisé entre votre mairie de Bègles, qui en confirme l’annulation. Ce mariage était-il selon vous juridiquement possible ?

Je savais que je risquais d’être condamné par la justice, mais j’ai pris cette décision avec pour objectif d’ouvrir un débat juridique et de société et de tester les limites de la justice en France. Le débat a eu lieu ; pas une seule famille française n’a pas parlé du mariage, ce qui est bon pour la démocratie, plutôt que de garder ce genre de sujet tabou sous le boisseau.
Je pensais bien que la justice, sous l’influence du gouvernement – car c’est M. Perben qui a donné des ordres au Parquet pour me harceler pendant plusieurs mois – ne laisserait pas passer l’affaire. Je voulais qu’elle s’en saisisse, qu’elle montre ses limites, et qu’on se retrouve devant la CEDH, ce vers quoi nous allons aller. Celle-ci, avant de se prononcer, va regarder ce qui se passe dans les autres pays de l’Union Européenne. Elle constatera que les Pays-Bas, la Belgique et maintenant l’Espagne, ont ouvert le mariage à des personnes de même sexe. Donc j’espère qu’elle validera ce mariage.

Pensiez-vous que le débat autour de ce mariage prendrait la tournure qu’il a pris ?

Je n’imaginais néanmoins pas une seconde que le débat prendrait cette ampleur. Je savais que ça bougerait mais pas à ce point. Je n’ai pas été surpris par l’hypocrisie des hommes politiques, en particulier du PS qui venaient me déclarer hors-la-loi, ce qui est normalement le boulot du juge qui fixe le droit dans ce pays. Ce sera donc au final une décision de la CEDH. J’ai donc mis le doigt sur quelque chose de tabou.

N’y avait-il pas d’autre moyen de faire avancer votre cause ?

Je n’avais pas d’autre moyen de le faire, car l’Assemblée Nationale refuse de d’examiner la question du mariage homosexuel, surtout avec la majorité actuelle. Depuis le 7 juin, il y a une proposition de loi en ce sens, et l’Assemblée Nationale pourrait s’en saisir si elle le voulait, mais je doute qu’une loi aie une chance de voir le jour sous cette législature. Le PS avait annoncé une proposition de loi en septembre 2004 ; elle n’a toujours pas vu le jour.

Seriez-vous prêt sur ce sujet à collaborer avec d’autres forces politiques ?

Je suis prêt sur ce sujet à collaborer avec n’importe quel parti politique. Est-ce que les autres partis politiques sont prêts, je n’en suis pas convaincu. A l’Assemblée Nationale, les clivages sont très respectés, même au sein de la gauche, donc je doute qu’une alliance se fasse au-delà des clivages.

Le mariage homosexuel est-il un pré requis pour la légalisation de l’homoparentalité ?

L’adoption existe déjà. Il y a à peu près 120 000 enfants élevés par des couples homosexuels, via une adoption par des familles monoparentales. On autorise des personnes seuls à adopter des enfants, mais pas des couples de même sexe.
Levons l’hypocrisie. Admettons qu’un enfant soit adopté par un homme. Et que celui-ci l’élève avec un autre homme. Et que celui-ci disparaisse avant que l’enfant n’aie 18 ans. L’un donc survit, on lui enlève cet enfant pour le mettre en famille d’accueil. Croyez-vous que ce soit bon pour l’enfant ? Il faut donc regarder les choses en face. Aux Etats-Unis, les études montrent que les enfants élevés par des couples homosexuels n’ont pas plus de problèmes que les autres.

Les opposants au mariage homosexuel avancent la nécessité de l’altérité sexuelle au sein du couple pour un développement équilibré de l’enfant. Qu’en pensez-vous ?

Je ne pense pas que des études plus approfondies soient nécessaires. Il faudrait plutôt se préoccuper des familles dans lesquelles sévissent des violences familiales, etc. L’altérité, les enfants la construisent, comme l’ont montré des psychiatres comme Elizabeth Roudinesco et d’autres.

Le droit est-il selon vous en retard sur la société sur ce thème?

Je pense que c’est la société qui n’est pas encore mûre pour ça. Enfin, il faut relativiser. On s’est rendu compte à travers les enquêtes d’opinion que les Français sont majoritairement en faveur du mariage. Mais la frilosité est une grande marque des hommes politiques français.
Il faut se souvenir de l’interview qu’avait donné Jacques Chirac au magazine homosexuel Têtu. Mais Jacques Chirac est aussi l’homme qui a lancé l’appel de Cochin en dénonçant l’Europe de l’étranger et qui maintenant défend la constitution européenne. Ce sont ses troupes qui ont voté contre le PACS et qui en disent aujourd’hui les pires ignominies. Aujourd’hui, Chirac et Raffarin disent qu’il n’y a pas mieux que le PACS. Pour moi, ça n’était qu’une étape. Eux veulent maintenir les choses en l’état, c'est-à-dire considérer qu’il peut toujours y avoir des citoyens de seconde zone, du fait de leur orientation sexuelle. Comment peuvent–ils le faire alors que le projet de constitution indique que toutes les discriminations sexuelles doivent être bannies ? Leur position n’est pas tenable.
Parlons de leurs autres réformes. La double peine n’a pas réellement était réformée. La gauche a déjà payé sur le sujet son manque de courage, notamment lors d’un certain 21 avril. Mais Sarkozy, lui, nous a balladé. Il nous a fait croire qu’il l’avait réformé, alors qu’en fait, ses victimes sont toujours dans des situations extrêmement délicates.
En réalité, c’est à la gauche d’ouvrir le mariage à des personnes de même sexe, mais on n’en est toujours pas là.

Existe-t-il un consensus à gauche sur la façon de faire évoluer les choses ?

Sur l’adoption, la gauche est divisée. Un certain nombre sont encore très conservateurs et voient ça d’un mauvais oeil, alors que la gauche devrait être en pointe sur ces questions.
Sur la législation européenne, vous avez un rapport de 1992 de Mme Claudia Rote incitant à ouvrir le mariage à des personnes de même sexe. Les Pays-Bas, la Belgique et l’Espagne l’ont suivi. L’Europe a toujours servi à faire avancer les droits. C’est donc à l’Europe de montrer l’exemple et donc de proposer une législation qui s’impose à l’ensemble des pays de l’Union. Parce que c’est la conquête d’un droit qui ne supprime pas les droits des autres, ni n’empiète dessus. Pourquoi s’opposer à la conquête d’un droit inoffensif pour autrui ?
Si la gauche devait avoir programme commun en 2007, elle devrait avoir à se prononcer dessus. Est-ce incontournable ? Je ne sais pas encore. Il faut en discuter avec l’ensemble des partenaires de la gauche.

Que pensez-vous de la co-parentalité ?

Je ne suis pas contre. Le livre de Filoche sur le sujet est très bon. On a de très bons exemples, comme au Royaume Uni. C’est très bien, mais je pense que cependant que c’est éminemment individuel et qu’on ne peut pas institutionnaliser ça de cette manière. Il faut emprunter un autre chemin sur ce sujet.

Pensez-vous que le mariage soit toujours à notre époque une institution pertinente ?

Il mérite en tout cas une révision sensible. Le mariage a été institué en 1804 par le Code Civil. Ca fait donc deux siècles. L’homme avait encore autorité sur la femme – ce n’est qu’au cour des années 70 que la Cour de Cassation est intervenue, notamment quant à l’autorité du père.
Le mariage, c’est une invention du Moyen-Age. D’ailleurs les Juifs et les Protestants étaient interdits de mariage pendant très longtemps. C’est une histoire de dote essentiellement. Ce n’est en tout cas pas le plus important dans l’éducation et le développement d’un enfant.

Les associations homosexuelles en France sont-elles représentatives ? La gauche a-t-elle plus de légitimité que la droite à prétendre représenter les homosexuels ?

En ce qui concerne les associations, je pense que de part leur travail militant sur le terrain, elles sont en effet représentatives. Quant à l’opposition droite – gauche et sa pertinence quant au combat des homosexuels pour conquérir leurs droits, je dirais que la gauche a toujours été plus ouverte que la droite sur ce sujet.
En revanche, je ne comprends pas qu’on puisse être au Front National et être homosexuel. Je ne comprends pas ce que des homosexuels puissent être au Front National alors qu’il combat les droits des homosexuels.

La droite va-t-elle apporter modification au PACS ?

C’est déjà fait, proposé par le Premier Ministre qui a demandé un rapport sur ce qui pourrait être fait en la matière.

Que pensez-vous des propos de certains parlementaires de la majorité parlementaire, farouchement hostiles au mariage homosexuel et qui se sont exprimés en des termes particulièrement polémiques sur le sujet ?

Je pense que des gens comme M. Vanneste devraient être virés pour les propos qu’ils ont tenus. La droite ne devrait pas tolérer de propos homophobes en son sein.