Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 

Compte-rendu d'entretien
Gérard Leclerc - essayiste

Propos recueillis le Jeudi 17 février 2005 à Joinville-le-Pont (94) puis par téléphone le 28 avril 2005

Etat du débat en France

La décision d’écrire un ouvrage sur le sujet a été prise à la fin du mois de juillet 2004. Le thème est très vaste et exige un travail de relecture constant. Son but est de définir la pensée du « monde » homosexuel – le terme est discutable, car au sein même de cette mouvance, des tensions existent. Les choses ont beaucoup changé depuis 5 ans. En 2000, Gérard Leclerc publie L’amour en morceaux, frappé par l’ouvrage de Didier Eribon, Réflexions sur la question Gay. Publié à la fin des années 1990, Eribon y explique qu’il n’y a pas de révolution politique à attendre de la question gay. C’est à ce titre qu’il s’est intéressé à des figures à la fois réactionnaires et homosexuelles, tels Georges Dumézil et Marcel Jouhandeau. Or, Eribon a changé de point de vue depuis . Selon lui, la société va changer, car la perspective d’un mariage homosexuel va transformer son socle anthropologique. Eribon, Fassin, Iacub et Borrillo sont les leaders d’un groupe de 7-8 personnes qui donnent le ton sur ces questions. Cependant, ils ne sont pas tous rejoints par les autres homosexuels. Par exemple, lors de la discussion du projet de loi visant à pénaliser les propos homophobes, le député Jean-Paul Garraud a reçu beaucouAp de lettres de soutiens venant d’homosexuels. Le groupe des 7-8 forment donc une « société de pensée » (au sens de l’historien Augustin Cochin , ce qui n’a rien de péjoratif) en prise directe avec le politique : ils cherchent à investir le champ du politique et son dispositif institutionnel. Le livre de Gérard Leclerc sera donc plus politique qu’anthropologique.

Foucault, Eribon et le défi de l’intrusion dans le politique

Selon Michel Foucault, il est stupide de dire que le christianisme est l’ennemi du corps et de la chair. En effet, l’incarnation est une vision positive de la chair, à la différence des philosophies platoniciennes et manichéennes.
Foucault était plutôt le penseur des marges : il a beaucoup étudié les fous, les prisonniers, les malades, puis les homosexuels – les marginaux en somme. Aujourd’hui, l’équipe de Borrillo cherche à investir l’institution de l’Etat. Cf. loi sur l’homophobie. Avant, on s’insurgeait contre l’Etat répressif. Aujourd’hui, on s’en sert pour réprimer l’homophobie.
Que faut-il entendre par conquête des « pouvoirs » ? Il s’agit des pouvoirs répressif, éducatif A et législatif. Derrière le législatif, on vise le pouvoir symbolique. On vise ainsi à représenter les symboles que le corps social se fait de lui-même. On substitue à la dualité des sexes la théorie des genders. Il n’y a plus que des pratiques sexuelles. On est homo, hétéro, bi, trans. La symbolique sociale est ainsi transformée par le pouvoir législatif. En conséquence, on change les représentations les plus spontanées de la société. Ce « groupe des 7 » raisonne en politique. Dans ce débat, ils jouent la carte de la passion et de la tension la plus extrême. Leur vision est par trop naturaliste : dans cette perspective, il faudrait rendre à la nature sa vraie valeur. Or, ces chercheurs oublient que l’homosexualité est aussi un phénomène psychologique.
Ce n’est donc pas anodin si Eribon est trotskyste : il pense en terme de prise de pouvoir. En fin de compte, est-ce que Foucault serait favorable à ce genre d’intrusion dans le politique ? Pas sûr.
Le religieux compte beaucoup dans la question du mariage homosexuel, car les principales cultures (occidentales ou non) reposent sur la Bible. Dans la Genèse, il est écrit : « Homme et Femme, Il les créa à son image ». Ceci explique l’agressivité plus forte que t&eacuAte;moignent ces militants homosexuels envers le christianisme. Les homosexuels recherchent plus de reconnaissance et de légitimité. Selon Eribon, toute affirmation d’une normativité hétérosexuelle est insupportable au regard gay car elle est une délégitimation. Pourtant, l’œdipe (i.e. ici la différence sexuelle) est tellement ancré dans l’humanité qu’il faudrait au moins l’énergie des gardes rouges pour appliquer les idées d’Eribon. Or, pour lui et ses colistiers, la victoire politique est proche… et ils n’ont pas tort.

Le traitement de la question au sein de l’Eglise

Au sein de l’Eglise de France, le débat est présent. Tout le flot de la tradition est porté par l’affirmation biblique de la Genèse. De fait, les prêtres de Saint-Eustache (quartier des Halles) ont accueilli beaucoup de sidéens dans leur paroisse. Il y a une attention extrême à ce sujet au sein de l’Eglise. Divers ouvrages sont à recenser :
- Le livre de Claire Lesegretain est une bonne enquête .
- Xavier Lacroix (théologien lyonnais) est un spécialiste de l’amour humain. Dans ce débat, ses écrits mettent l’accent sur l’amour duA semblable.
- John Boswell , historien américain mort du Sida, explique que l’Eglise n’a pas toujours eu une vision si dure de l’homosexualité, notamment au Haut Moyen Age. Certains médiévistes, dont Michel Rouche , ne partagent pas son point de vue.

De Saint-Paul à Jean-Paul II, l’étude de l’amour

L’époque moderne a centré le débat sur l’anthropologie. Les traits caractéristiques qui s’en dégagent sont l’Homme, le Sujet, la Personne : c’est le fruit du personnalisme d’avant et d’après guerre. Mounier, Buber et Rosenzweig sont les principaux représentants de ce courant. Pour comprendre Saint-Paul et ses écrits, il faut revenir aux études de grands théologiens : celles du Père de Lubac (Vatican II), du Suisse Urs Von Balthazar et de Gaston Fessard. Ce dernier était théologien, jésuite et s’était passionné pour Hegel. Il faisait parti du séminaire de Kojève, avec Aron et Queneau entre autres. Fessard a repensé des catégories (l’histoire, la raison) à travers un regard hégélien. Il a redéployé une théorie de l’amour humain dans son ouvrage posthume Le mystère de la société . Cet A ouvrage porte sur le lien social. Il repense les grandes thématiques de la théologie. En cela, tous ces théologiens ont été amenés à repenser les écrits de Saint-Paul, dont le premier passage de l’épître aux Romains condamnant l’homosexualité (que Boswell minore).
Les derniers grands théologiens en vie (le 17.02.2005) se nomment Joseph Ratzinger et Karol Wojtyla. Ce dernier est loin d’être un censeur. C’est un des hommes qui a le plus réfléchi sur l’amour humain et l’affectivité. Avant d’être élu Pape, il fut philosophe et aumônier de jeunes. Après la guerre, Jean-Paul II a rencontré un disciple de Husserl à Cracovie, Roman Imgarden. Ensemble, ils préparèrent une thèse sur Max Scheler, l’anti-Kant (homme des principes et des impératifs). En effet, Max Scheler conçoit l’amour humain à travers la maturité affective. Ce dernier guidera Jean-Paul II vers l’anthropologie morale. Il trouve chez lui une tradition thomiste de retour à la description inductive. A la suite de ses études, Karol Wojtyla tentera de faire la synthèse entre Kant, qui ignore par trop la matérialité du phénomène érotique, et Scheler qui passe outre les principes moraux kantiens. Cependant, on sent que chez Jean-Paul AII, Scheler l’emporte : il perçoit l’éducation chrétienne comme une éducation à l’affect et aux sentiments plutôt qu’aux grands principes. Cette éducation passe par la prière. Partant, chez Jean-Paul II, on retrouve toute une théologie du corps. Cf. dernier ouvrage de Sylviane Agacinski sur la patristique , dans lequel elle explique qu’il y a des oppositions entre les Pères de l’Eglise sur les questions liées à l’anthropologie de la chair.

« La parité est une absurdité, mais la dualité des sexes est le fondement de la société. »

Néanmoins, comme le rappelle le Père de Lubac : « Le paradoxe est le propre même de l’humanité. » La différence des sexes n’élimine pas l’universalité. Chez Saint Thomas d’Aquin, la nature - natura - n’a aucune connotation biologique, mais bien rationnelle, au contraire de l’école du droit naturel. Chez les penseurs chrétiens, ce n’est pas la nature qui intéresse, mais la chair. C’est ce qu’évoquait Jean-Luc Marion dans sa dernière conférence de Carême . Cf. Michel Henry, immense penseur, qui publia des études très pousséeAs sur Saint-Jean.
Jacques Derrida a donné son accord à l’initiative de Noël Mamère, mais marque un désaccord sur la dualité des sexes, qu’il persiste à considérer comme un fondement de la société, tout comme Elisabeth Roudinesco, pourtant favorable au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Derrida s’oppose au constructivisme. A l’inverse, Eribon récuse la dualité des sexes : on comprend ainsi que la théorie des genders est un constructivisme absolu. L’homme doit se construire lui-même. De fait, le pivot de cette société est le transsexuel, car il est ce qu’il a décidé d’être. Derrida n’est pas pour autant du côté du naturalisme.
Pour les Chrétiens, la chair n’est pas la nature humaine. Comme dirait Nietzsche, le corps humain a une raison. Il n’y a pas de frontière entre la nature et la culture.
Contrairement à l’affirmation de Jacques Julliard, le thomisme (et l’Eglise selon Julliard) ne choisit pas la nature contre la culture, car la nature dont parle Thomas d’Aquin n’est pas la nature biologique. Le cardinal Ratzinger l’a démontré lors d’une conférence commune avec Jürgen Habermas, très intéressé par la question de la A complémentarité entre la Raison et la Foi.

« L’Eglise a largement sa place dans ce débat. »

Une question se pose : le politique est-il tout puissant ? Peut-il décider de tout ?
Ceci nous ramène au mythe prométhéen : dans cette perspective, Hitler semble avoir gagné ! En effet, Hitler incarne la transgression, plus particulièrement la transgression au décalogue : « Tu ne tueras point ». Dans ce cas, comment assumer l’interdit de l’inceste ? Comme l’a démontré René Girard, Hitler se justifie par Nietzsche, qui pense que « l’homme est un tueur ». Si le christianisme n’y croit pas, la transgression, elle, semble avoir gagné. Mais sur le sujet spécifique qui nous occupe, c'est le problème, traité par Ratzinger et Habermas des préalables pré-politiques qui doit être examiné. Il y a une anthropologie antérieure à tout volontarisme politique dans le cadre d'une démocratie bien ordonnée.

« On ne peut pas ignorer la société. »

Ces questions sont une zone de conflit entre le droit et la morale. Le cas classique est celui de la prostitution (cf. Législation sous LouisA IX, alias Saint Louis).
L’avortement, également, suppose des arbitrages délicats. Dans son dernier livre, Luc Boltanski démontre que la question morale de l’avortement ne sera jamais déliée. Gauchet va dans le même sens : selon lui, l’avortement restera un débat dramatique. En clair, l’avortement a toujours existé, mais c’est une réalité secrète. Une législation libérale n’abolira pas la question : la réalité demeure.

L’adoption pour les couples homosexuels

Le constructivisme n’y peut rien : il y a nécessité de la mère pour un enfant. On a beau réinventer la société, la mère s’impose dans la construction de l’enfant. Il y a une réalité humaine : la dualité des sexes. Le père et la mère sont nécessaires. Le droit ne pourra pas changer 2000 ans de morale et surtout une réalité universelle.
Comme Xavier Lacroix, qui critique la qualité des enquêtes américaines sur l’homoparentalité , Gérard Leclerc n’est pas un déterministe absolu : il compatit aux souffrances des homosexuels, notamment lorsqu’ils subissent des persécutions et des mesures d’exclusion. A Prenons l’exemple du clonage humain. Ce type de clonage existera peut-être un jour. L’Eglise s’y opposera. Malgré son origine, que l’on déplore, et en dépit du handicap considérable de naître sans père et mère, l’Eglise ne considèrera pas le cloné comme un monstre et compatira à son immense souffrance psychologique.
En outre, G. Leclerc croît en la complémentarité des sexes. On ne peut nier que dans les familles monoparentales (constituées à 95% de mères seules), l’absence de dualité des sexes est un manque pour les enfants. Dans son essai, Big Mother , Michel Schneider insiste sur le retour de formes très matriarcales dans la société, comme les familles monoparentales. Il est vrai que la figure de la femme est omniprésente dans la société, mais ça ne compense pas l’absence de père dans ces familles. Au contraire, la quasi exclusivité des femmes dans le corps enseignant peut être déstabilisante pour les enfants.

Qu’en pensent les autres monothéismes ?

Le judaïsme prend aussi la parole. Le rabbin Sirat, ancien Grand Rabbin de France, s’est déjà exprimé de manière beaucoup plus véhémente que les autoritéA;s chrétiennes sur ces questions. Quant à l’islam, c’est difficile à dire car les musulmans ne parlent pas d’une seule voix.

Les relations entre l’Eglise et les homosexuels

Dans le catholicisme, deux aspects sont mis en valeur par ce débat :
- la fermeté doctrinale ;
- l’attention à l’égard des personnes.
Jamais il n’est question de haïr les homosexuels. D’après son expérience personnelle, Gérard Leclerc lui-même n’a jamais trouvé le moindre témoignage d’homophobie dans l’Eglise qu’il a connue. L’Eglise ne pratique pas d’ostracisme à l’encontre des homosexuels. Bien au contraire, elle préconise et pratique une grande finesse d’écoute envers eux. Réciproquement, l’homosexualité place les individus dans une situation psychologique particulière, « à vif », qui leur permet de vivre, souvent intensément, une expérience de foi. Dans les livres de témoignage sur l’homosexualité, les textes les plus intéressants sont ceux des prêtres, preuve qu’il y a une écoute et une conversation dans le monde chrétien très enrichissante pour les homosexuels.

Retour sur « l’affaire Buttiglione »

Rocco Buttiglione est un philosophe italien brillant, fin et lettré. C’est un spécialiste de la pensée de Jean-Paul II. Selon lui, l’homosexualité est un péché. Dans cette affaire, « il a été piégé ». En l’interrogeant, on lui a demandé ses convictions personnelles. Si ses convictions personnelles aboutissaient à une volonté d’ostracisme et d’exclusion des homosexuels sur le terrain public, G. Leclerc aurait mis son veto à son investiture. Par exemple, notre interviewé n’aurait jamais eu l’idée d’empêcher l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris parce qu’il est homosexuel. Un homosexuel peut très bien faire un excellent maire ou un excellent député. Le cas Buttiglione pose un réel problème : un homme public risque-t-il désormais l'exclusion à cause de son attachement aux principes de son christianisme ? Ajoutons qu'on peut considérer l’homosexualité comme un péché si çà nous chante, mais çà ne doit pas interdire à un homosexuel, ou à un homme qui trompe sa femme, d’accéder à des fonctions publiques.
NotoAns que G. Leclerc récuse l’emploi du mot « homosexuel » pour qualifier une personne, car on ne qualifie pas quelqu’un en fonction de son orientation sexuelle. Ce marquage systématique est insupportable. Le terme « homophobie » est acceptable, mais il y a lieu de distinguer entre l’attitude qui consiste à émettre des réserves morales à l’égard de l’homosexualité et un comportement ouvertement haineux. Si la confusion s’instaure, l’homophobie pourra conduire à restreindre la liberté de penser et de juger.
Mais la question reste posée : qu’est-ce que l’homosexualité ? Est-elle volontaire ou non ? C’est seulement après avoir répondu à cette question que l’on peut se demander si c’est un péché. Le fait d’être homosexuel n’est pas un péché mais la pratique l’est. N’oublions pas que le péché est inhérent à la nature humaine. On peut donc être catholique et homosexuel. On peut avoir 30 maîtresses et être catholique. Léon Bloy résume la situation: « Il n’y a qu’une tristesse, c’est de ne pas être des saints ».

L’image des homosexuels aujourd’hui

L’homosexualité est plutôt valorisée aujourd’hui. On se cache de moins en moins. La culture gay influence beaucoup la mode de la société. On présente l’homosexualité comme le dernier cri de la modernité. A l’inverse, dans les milieux populaires, la condition homosexuelle est plus difficile. Il est normal que celui qui est persécuté pour son homosexualité puisse se défendre devant les tribunaux.

Dieu et la liberté

En France, il y a toujours plus de lois, et elles sont toujours plus coercitives (A.-G. Slama).
Dieu fait l’homme libre. La thématique de la liberté a été développée dans la culture chrétienne. Elle n’est pas thématisée dans la pensée grecque. Il faut attendre les Pères de l’Eglise pour que soit développée l’idée de libre-arbitre, fondé sur la raison et la volonté. Le libre-arbitre est clairement le fondement de la religion chrétienne, mais il est bridé par la société moderne, trop déterministe (à l’image des sciences humaines actuelles). Le propre du christianisme est d’affirmer la liberté. L’homme doit se constituer comme sujet dans la mesure où il se construit. De toutes les manAières, il y a toujours une tension morale dans la liberté. De plus, la liberté est à la fois une donnée et une conquête. Les pratiques « addictives » n’existent que dans une société où les hommes sont libres, mais elles dégradent leur liberté.

Qu’est-ce que la modernité ? L’exemple du mariage

La modernité est une notion énigmatique par essence. Le christianisme vit au rythme de l’histoire, pour affirmer certaines visions de l’homme notamment.
Le christianisme est fondateur de la modernité - et d’à peu près tous les autres fondements de la société occidentale ! Il a favorisé la venue du règne de l’individu par opposition à l’archaïsme d’une société holiste où l’emprise du groupe enferme la personne humaine. La modernité se caractérise donc par l’émancipation de l’individu.
Par exemple, le mariage n’est pas le fruit d’une décision personnelle dans les sociétés traditionnelles. C’est un élément essentiel de la stratégie sociale. A Rome, le mariage repose sur le consentement des intéressés, ce qui n’est pas si traditionnel. Toutefois, Ale mariage romain est conditionné par certaines limites : le lieu (il doit s’effectuer dans la Cité), l’appartenance à une classe (endogamie), le caractère patriarcal de la société, etc. D’ailleurs, le divorce équivaut à une répudiation. Chez les Romains, lorsqu’il y a divorce, la femme est souvent chassée du foyer par son mari. Chez les Chrétiens, le consentement fait le mariage (pas chez les orthodoxes). Le prêtre bénit le mariage, mais les époux en sont les ministres. Au Concile de Trente, on affirme que le mariage n’est valide que s’il y a des témoins. Partant, le caractère public du mariage permet de voir s’il y a consentement ou pas. Quand sont arrivés les peuples dits « Barbares », on est passé du mariage consensuel, romain et chrétien, aux pratiques païennes, qui stipulent que le mariage est fait par le clan. Duby montre ainsi qu’au cours du Moyen Age, on voit s’affronter les clercs et les féodaux. Cependant, Gérard Leclerc y perçoit un affrontement moins marxisant, moins marqué par la lutte des classes, mais plutôt par un retour aux pratiques païennes. Le mariage consensuel de type chrétien a donc fait sauter toutes les sociétés traditionnelles. Sur ce point, Gérard Leclerc exprime son désaccord avec les idéAes ambiantes selon lesquelles le christianisme aurait été vaincu par les Lumières. Au contraire, dans le désenchantement du monde , Marcel Gauchet démontre que le plus grand acteur de l’émancipation moderne fut le judéo-christianisme. L’individu, avant, se trouvait englobé dans un cosmos.
En parallèle, c’est à partir des Lumières que se développe un antichristianisme virulent. Dans le cas français, le laïcisme le plus agressif est toujours en lien ou en réponse au christianisme. En outre, le signe le plus marquant de la révolution américaine est l’absence de tout antichristianisme.
Ceci renvoie également aux thèses que défend Rémi Brague dans Europe, la voie Romaine . Selon lui, l’Eglise catholique a hérité de Rome sa secondarité. Rome n’avait pas de caractère propre. Elle a inventé le droit, mais elle hérite de la culture grecque. Le christianisme va hériter du judaïsme. Au surplus, les Pères de l’Eglise vont utiliser au maximum la pensée grecque. Le christianisme ne se reconnaît pas de grande singularité, si ce n’est son sens de l’universalité. Ex : les missions. Paradoxe : quand Voltaire s’intéresse à la Chine, il lit les rapports des missionnaires qui s’y Atrouvent. En somme, le christianisme s’intéresse à ce qui n’est pas soi. Il y a dans son génie la dimension d’un rapport à l’Autre.
Jürgen Habermas est le grand penseur de la modernité démocratique. Il démontre que la démocratie repose sur le débat et l’échange d’arguments rationnels. Or, face aux problèmes liés aux manipulations génétiques, notamment au clonage reproductif, le rationalisme étroit n’est pas la réponse la plus opérante, et c’est à ce titre que le religieux a une part à prendre dans ce débat. Est-ce là un aveu de faiblesse de la démocratie dans un débat pourtant crucial ? Habermas prône, sur ces questions, l’intervention de traditions religieuses. Le patrimoine propre doit être traduit rationnellement. C’est donc que selon lui, le christianisme a son mot à dire .
NB : sur la modernité des Pays-Bas, Gérard Leclerc affiche une certaine perplexité face à cette société qui voit se développer des mouvements extrémistes.

L’avenir des sociétés post-modernes

Gérard Leclerc cache difficilement son pessimisme quant au devenir des sociétés en g&eacutAe;néral. Les sociétés sortent de l’histoire, relativement déculturées et oubliant leur passé. G. Leclerc craint une réaction violente et l’émergence d’un néo-totalitarisme, car il n’y a pas d’idéologie pour canaliser cette nouvelle jeunesse. Cf. Alain Badiou, Le Siècle . L’auteur est un peu exalté (toujours maoïste en 2005). Selon lui, à partir de 1980, on assiste au début du « Petit Siècle » qui contredit le Grand Siècle car il est marqué par l’absence d’idéologie. Après Auschwitz, on rejette la plupart des idéaux car on refuse de partir dans des directions folles. Autrefois, lorsqu’on croyait au progrès, on lui donnait une direction. Aujourd’hui, on assiste à la sortie de l’histoire (ex : incapacité des jeunes à situer des textes d’écrivains dans leur contexte), reflétée par l’ignorance du passé, l’absence de philosophie du droit et un net rejaillissement du nihilisme. On se dirige sans doute vers un nouveau fascisme. C’est imprévisible.

La pédophilie

On a dit que le clergé catholique s’était tourné vers ce genre de pratiques du fait d’une grande souffrance sentimentale. FAaux ! Dire qu’un prêtre est voué à la pédophilie est aussi stupide que de le dire pour un instituteur. Certes, quelques individus se sont rangés dans le clergé pour pouvoir être au contact des enfants. Mais les frustrations ne font pas les pédophiles. « Quand un prêtre catholique a des pulsions, comme tout le monde, je ne vois pas pourquoi il ne se tournerait pas vers les femmes plutôt que vers les enfants. »
De quoi parle-t-on ? La pédophilie répond à une typologie très précise. Ce ne sont pas des gens faibles, mais des pervers qui se caractérisent par une habileté redoutable. Ils développent patiemment des stratégies de séduction retorse. De plus, ils ne se tournent pas vers des enfants parce qu’ils ne peuvent se tourner vers des adultes. Enfin, 90 % de leurs victimes se situent dans le cadre familial, donc hétérosexuel : c’est donc une perversité, et non le résultat de frustrations.
Notons, que le scandale des prêtres américains n’est pas un problème de pédophilie mais d’homosexualité, car les victimes de ces pratiques sont, dans l'essentiel des cas, des adolescents pubères.

Sur le mariage

Inspiré par le grand penseur P. Legendre, A G. Leclerc distingue, dans son livre l’amour en morceaux, le choix du mariage aux autres choix faits en société. Les choix personnels (religieux, politiques ou sexuels) sont anti-institutionnalisant. A l’inverse, la cohérence de l’amour est institutionnel, d’où le mariage. La reconnaissance du mariage sanctionne un acte fondateur pour la société. Ce n’est donc pas la reconnaissance des tendances particulières qui fondent la société mais celle d'un lien structurant absolument nécessaire pour « la fabrication des individus ». On peut craindre que la loi ne permette aux formes marginales du social de se reconstituer sous des formes plus violentes.
NB : Gérard Leclerc ne se prononce pas sur « l’irrésistibilité » du mariage homosexuel.

Dernier propos : et Joseph Ratzinger devînt Benoît XVI

Le cardinal Joseph Ratzinger est extraordinairement intelligent. Ce n’est pas du tout le père crispé et conservateur que l’on dépeint. Seulement, dans sa fonction de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, il avait pour mission de « corriger les copies » (J.-M. Lustiger). Mais il a accepté cette fonction un peu à contrecœur, car c’est avant tout un enseignant qAui aurait préféré construire une œuvre comme professeur d’université lorsque le pape Paul VI le créa archevêque. Il est donc tout à fait paradoxal qu’il se retrouve pape aujourd’hui. On verra bien de quelle manière conduira-t-il la marche de son pontificat.

Vous pouvez consulter le document suivant en cliquant dessus :

Avis de la CNCDH - Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme - sur la Halde