Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 

Compte-rendu d'entretien
Nadine Morano - député

 
• Comment avez-vous été amenée à prendre position sur ce thème ?

Les sujets de société m’intéressent. Quand on est élu parlementaire, et surtout dans le contexte du quinquennat, on a la charge d’appliquer le programme du Président de la République, décliné dans les circonscriptions puisqu’on a un programme national d’action, de grandes réformes (réforme de l’école, 35 heures, assurance-maladie, retraites) que vous avez vu être débattues ici et maintenant appliquées. Et puis il y a les débats de société sur lesquels nous sommes sollicités, par le biais d’associations, notamment sur la réforme du divorce. Les associations viennent nous voir, nous parler de la prestation compensatoire par exemple, ou du droit de garde des enfants, et c’est à partir de ces sollicitations-là que nous sommes amenés à réfléchir. Si vous m’aviez parlé d’homoparentalité quelques années auparavant, ma position aurait été tout autre. Quand on est élu, il faut bien comprendre que l’on est investi d’une mission, et à ce titre-là on est législateur : on a donc pas le droit de prendre position en fonction de critères personnels. J’ai donc essayé d’avoir une vision de construction de la société.

Quand j’ai reçu des associations et lu certains courriers, j’ai été choquée par le manque de respect que pouvaient avoir certains concitoyens par rapport aux différences. Je suis une personne tolérante. Je n’aime en revanche pas l’exhibition : à ce titre la gay pride me dérange, parce qu’à titre personnelle, je ne revendiquerais pas mon hétérosexualité. Je me qualifierais de « classique », remarquez que je ne dis pas « normal », ce qui signifierait que l’orientation homosexuelle pourrait être « anormale », ce que je ne crois pas. Je me suis interrogée sur ce qu’était l’homosexualité. J’ai pris des avis auprès des uns et des autres. Je me suis efforcé à penser cette différence, différence qu’il m’était difficile d’envisager en tant qu’hétérosexuel. Il me semble que l’homosexualité s’explique par des critères génétiques, parce que la nature n’est pas « parfaite », uniforme. La nature n’est pas « parfaite ». Comment naît-on par exemple dans un corps d’homme ou de femme tout en se sentant appartenir au sexe opposé ? Cette expérience doit être terrible à vivre. Il me semble donc que leur homosexualité fait partie de leur nature.

J’ai reçu quelques lettres terribles, assez peu : trois, à la suite de ma prise de position. C’était des lettres terribles, les traitant de pédophiles, alors qu’on sait très bien que c’est dans les familles traditionnelles qu’il y a le plus de viols d’enfants, d’incestes. Je ne juge pas et je n’aime pas qu’on juge. Je n’aime pas non plus l’exhibition, mais quand j’écoute ces gens dont je respecte le choix - car personne n’ira leur imposer de vivre avec une femme ou avec un homme – je pense que c’est leur liberté et qu’elle doit être respectée.

Or, regardez la législation. Cela fait peu de temps que l’homosexualité n’est plus condamnée. Nous avons effectué des pas de géant vers le respect. Ce que nous avons voté, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) il y a très peu de temps a montré encore que la France a franchi une marche supplémentaire vers ce respect. On ne peut pas en France aujourd’hui que quelqu’un se fasse traiter de « pédé », voilà. On a plus le droit de proférer ce genre d’insultes. J’ai été atterrée quand j’ai entendu mon collègue Christian Vanneste prononcer de telles paroles et prendre des positions pareilles. Cela me choque parce que je respect leur liberté

J’ai par ailleurs souhaité faire une analyse de législateur. Les associations disent que 400000 familles sont concernées par cette situation. Jean-Louis Debré que j’ai rencontré et avec qui j’en ai discuté a créé une mission sur le droit de la famille et les droits de l’enfant. Je me suis battue pour être dans cette commission. Au moment du Pacs, la droite a mal agi parce qu’elle a réduit le débat à un affrontement gauche-droite. Il faut au contraire adopter une position réfléchie, intelligente et sur ces sujets de société il faut éviter de reproduire un tel clivage. La méthode de la mission d’information nous fait travailler sur le fond, et c’est ce qui est important. Et aujourd’hui Patrick Bloche qui est président de la mission est socialiste. Valéry Pécresse en est le rapporteur. Lors de la troisième audition, nous avons appris que les statistiques de l’INSEE ne répertorient pas les familles de ce type. Officiellement elles n’existent pas. L’homosexualité n’existe pas dans les statistiques officielles en France. Or la situation est éclatée : vous avez les familles traditionnelles, les familles monoparentales, les familles recomposées mais pas les familles homosexuelles.

Ce à quoi on est confronté est la situation suivante : vous avez un parent biologique qui a eu un enfant d’un premier mariage et qui ensuite a changé de vie ; vous avez également un parent biologique qui a procédé à une insémination artificielle ; et vous avez enfin un individu célibataire qui est contraint de mentir aux services de la DDASS pour pouvoir adopter un enfant et vit avec une autre personne de même sexe. Et vous avez maintenant une voie nouvelle qui utilise les nouvelles technologies. Un couple de femmes se met en relation via Internet avec un couple d’hommes. Ils font un enfant via insémination artificielle par PMA, ou parfois en injectant par une seringue le sperme dans l’utérus de la femme d’une manière que l’on pourrait qualifier d’artisanale, tout comme auparavant les femmes se faisaient avorter avec une aiguille à tricoter.

Ce sont des phénomènes qui existent et à partir du moment où ces phénomènes existent et que des enfants existent, qu’ils sont nés, soit parce qu’ils ont été conçus d’un premier mariage, soit qu’ils ont été conçus par insémination artificielle, soit parce qu’ils ont été adoptés par une personne célibataire, il faut en tenir compte.

• Est-il possible d’estimer même approximativement ces cas ?

Les chiffres ne sont pas officiels. Les associations de gays et lesbiennes parlent de 400000, dans d’autres milieux on évoque le chiffre de 80000. Il y aurait 100000 enfants concernés. Nous sommes donc en face d’un flou artistique. Mais en même temps les enfants existent. En tant que législateur je ne peux pas accepter que des enfants ne puissent pas bénéficier des mêmes droits que les autres. De quelle nature ? En matière d’une part, de sécurité et de garde, c’est-à-dire que quand le parent biologique décède, le parent coaccompagnant ne peut pas bénéficier de la garde officielle. Il ne peut pas en bénéficier parce qu’il n’est pas reconnu. Mon objectif dans cette mission est de changer la loi sur l’adoption pour permettre à un parent coaccompagnant d’adopter l’enfant de son conjoint qui est le parent biologique, donc de changer le droit de l’adoption pour qu’il puisse l’adopter même s’il est du même sexe. De même le fait de l’adoption permettra le droit de succession et c’est ce qui m’intéresse également. Pourquoi l’enfant ne pourrait-il pas recevoir le patrimoine lors du décès ou même en fin de vie de celui qui l’a élevé ? L’adoption pourra permettre de le reconnaître comme tel et de pouvoir transmettre ce patrimoine. Vous savez que la loi dite « Sarkozy », la loi actuelle, permet de transmettre jusqu’à 100000 euros. Les grands-parents de ces enfants ne peuvent pas bénéficier de cette loi pour transmettre leur patrimoine à ces petits-enfants qui seront d’une part leurs petits-enfants biologiques d’un côté, mais qui ne seront pas des enfants biologiques de l’autre. Les grands-parents coaccompagnants n’ont pas de statut aujourd’hui alors que dans certains cas ils les élèvent comme leurs propres grands-pères ou grands-mères : c’est pour moi une injustice. C’est tout l’enjeu dans ce domaine
• Comment placez-vous ces revendications dans le cadre plus global des évolutions du modèle familial ?

La famille a beaucoup évolué. Au début du siècle, les enfants de familles divorcées étaient regardés avec suspicion. Or la structure familiale a muté. La famille traditionnelle demeure certes majoritaire. Mais les familles monoparentales progressent ainsi que les familles recomposées. Enfin se profile le cas des familles homoparentales.

Certains de mes collègues considèrent que ce terme ne veut rien dire. Et c’est partiellement vrai, dans droit actuel. La famille homoparentale ne veut rien dire a priori. Sauf que, si on considère que les parents coaccompagnants peuvent rentrer dans cette structure familiale, pour moi ce mot prend un sens. Le législateur ne doit pas toujours être en retard par rapport à la société.

• Que pensez-vous de la question de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ?

Je ne dis pas que les unions homosexuelles doivent être reconnues au même titre que le mariage traditionnel. Je ne dis pas qu’il faut institutionnaliser l’homosexualité. J’ai réfléchi à cette question du mariage. Je me suis mariée à l’Eglise à titre personnel et ce geste est porteur de sens. Le mariage est à mon sens fondamentalement constitué de l’amour de deux personnes qui ont envie de construire quelque chose ensemble. Le mariage, c’est d’abord pour moi l’union de deux personnes qui s’aiment.

Quant à la question du mariage religieux, j’y ai réfléchiMon opinion sur l’Eglise se caractérise par un profond respect pour le Pape [Jean-Paul II]. J’ai beaucoup de respect pour cet homme qui est pour moi un grand politique et qui doit maintenir une certaine morale. Cependant ce que nous montrent les textes, par exemple la visite du Christ chez Zachée, le collecteur d’impôts, ou à la femme adultère, c’est un message d’amour et de tolérance. « Que celui qui a jamais pêché lui jette la première pierre », dit Jésus. Quand il se fait laver les pieds par Marie Madeleine la prostituée, il accomplit un geste fort. Je pense que c’est avant tout un message d’amour et de paix que le catholicisme.

C’est pourquoi si en tant que législateur je m’interroge et je prends position, c’est à rebours de certaines convictions personnelles initiales. Certes ma vision du mariage est celle d’une union entre un homme et une femme. Mais si on veut respecter l’amour, alors l’amour peut être une belle histoire entre deux personnes de même sexe. Je me refuse à juger.

Certains me rétorquent que les couples homosexuels sont davantage instables que les couples traditionnels. Mais c’est surtout l’existence de ces enfants qu’il faut prendre en compte. Je ne suis en revanche pas favorable à l’adoption pour les pupilles de la Nation car je crois que dans un premier temps il faut agir par paliers comme nous l’avons fait pour la mission sur la fin de vie : améliorer encore le fonctionnement du Pacs, ce que Nicolas Sarkozy a fait en matière d’imposition. Paradoxalement les homosexuels que nous rencontrons dans le cadre de cette mission ne sont pas fondamentalement demandeurs de mariage : ils sont demandeurs de respect, d’égalité. Nous devons nous montrer respectueux de l’autre. Dès lors qu’il n’y a pas atteinte à l’intérêt d’autrui, tout jugement doit être prohibé. Je ne veux pas qu’on les juge bien qu’une manifestation comme la gay pride me dérange car elle accole à la communauté gay une image de « folle » qui est réductrice.

• Qu’en pensent vos électeurs ?

Je crois que les gens ont envie que leurs représentants aient du courage, pas qu’ils leur disent ce qu’ils ont envie d’entendre. Les gens qui me connaissent savent que je suis quelqu’un de plutôt traditionnel. Mais quand je leur dis que des enfants existent, qu’il y a des droits qui sont pas les mêmes, les gens comprennent. Si un de vos enfants ou de vos petits-enfants vous annoncent qu’il est homosexuel, vous le considérerez comme l’égal des autres. Les gens veulent du courage. Ce que nous montre l’affaire Gaymard., c’est précisément cela : les gens sont avant tout en attente d’explication. En ces matières il faut raisonner à vingt ans, à trente ans. Je crois que les français attendent cela des hommes et des femmes politiques.