• Comment avez-vous été amenée
à prendre position sur ce thème ?
Les sujets de société m’intéressent.
Quand on est élu parlementaire, et surtout dans le
contexte du quinquennat, on a la charge d’appliquer
le programme du Président de la République,
décliné dans les circonscriptions puisqu’on
a un programme national d’action, de grandes réformes
(réforme de l’école, 35 heures, assurance-maladie,
retraites) que vous avez vu être débattues ici
et maintenant appliquées. Et puis il y a les débats
de société sur lesquels nous sommes sollicités,
par le biais d’associations, notamment sur la réforme
du divorce. Les associations viennent nous voir, nous parler
de la prestation compensatoire par exemple, ou du droit de
garde des enfants, et c’est à partir de ces sollicitations-là
que nous sommes amenés à réfléchir.
Si vous m’aviez parlé d’homoparentalité
quelques années auparavant, ma position aurait été
tout autre. Quand on est élu, il faut bien comprendre
que l’on est investi d’une mission, et à
ce titre-là on est législateur : on a donc pas
le droit de prendre position en fonction de critères
personnels. J’ai donc essayé d’avoir une
vision de construction de la société.
Quand j’ai reçu des associations
et lu certains courriers, j’ai été choquée
par le manque de respect que pouvaient avoir certains concitoyens
par rapport aux différences. Je suis une personne tolérante.
Je n’aime en revanche pas l’exhibition : à
ce titre la gay pride me dérange, parce qu’à
titre personnelle, je ne revendiquerais pas mon hétérosexualité.
Je me qualifierais de « classique », remarquez
que je ne dis pas « normal », ce qui signifierait
que l’orientation homosexuelle pourrait être «
anormale », ce que je ne crois pas. Je me suis interrogée
sur ce qu’était l’homosexualité.
J’ai pris des avis auprès des uns et des autres.
Je me suis efforcé à penser cette différence,
différence qu’il m’était difficile
d’envisager en tant qu’hétérosexuel.
Il me semble que l’homosexualité s’explique
par des critères génétiques, parce que
la nature n’est pas « parfaite », uniforme.
La nature n’est pas « parfaite ». Comment
naît-on par exemple dans un corps d’homme ou de
femme tout en se sentant appartenir au sexe opposé
? Cette expérience doit être terrible à
vivre. Il me semble donc que leur homosexualité fait
partie de leur nature.
J’ai reçu quelques lettres terribles,
assez peu : trois, à la suite de ma prise de position.
C’était des lettres terribles, les traitant de
pédophiles, alors qu’on sait très bien
que c’est dans les familles traditionnelles qu’il
y a le plus de viols d’enfants, d’incestes. Je
ne juge pas et je n’aime pas qu’on juge. Je n’aime
pas non plus l’exhibition, mais quand j’écoute
ces gens dont je respecte le choix - car personne n’ira
leur imposer de vivre avec une femme ou avec un homme –
je pense que c’est leur liberté et qu’elle
doit être respectée.
Or, regardez la législation. Cela
fait peu de temps que l’homosexualité n’est
plus condamnée. Nous avons effectué des pas
de géant vers le respect. Ce que nous avons voté,
la Haute autorité de lutte contre les discriminations
et pour l’égalité (Halde) il y a très
peu de temps a montré encore que la France a franchi
une marche supplémentaire vers ce respect. On ne peut
pas en France aujourd’hui que quelqu’un se fasse
traiter de « pédé », voilà.
On a plus le droit de proférer ce genre d’insultes.
J’ai été atterrée quand j’ai
entendu mon collègue Christian Vanneste prononcer de
telles paroles et prendre des positions pareilles. Cela me
choque parce que je respect leur liberté
J’ai par ailleurs souhaité faire
une analyse de législateur. Les associations disent
que 400000 familles sont concernées par cette situation.
Jean-Louis Debré que j’ai rencontré et
avec qui j’en ai discuté a créé
une mission sur le droit de la famille et les droits de l’enfant.
Je me suis battue pour être dans cette commission. Au
moment du Pacs, la droite a mal agi parce qu’elle a
réduit le débat à un affrontement gauche-droite.
Il faut au contraire adopter une position réfléchie,
intelligente et sur ces sujets de société il
faut éviter de reproduire un tel clivage. La méthode
de la mission d’information nous fait travailler sur
le fond, et c’est ce qui est important. Et aujourd’hui
Patrick Bloche qui est président de la mission est
socialiste. Valéry Pécresse en est le rapporteur.
Lors de la troisième audition, nous avons appris que
les statistiques de l’INSEE ne répertorient pas
les familles de ce type. Officiellement elles n’existent
pas. L’homosexualité n’existe pas dans
les statistiques officielles en France. Or la situation est
éclatée : vous avez les familles traditionnelles,
les familles monoparentales, les familles recomposées
mais pas les familles homosexuelles.
Ce à quoi on est confronté
est la situation suivante : vous avez un parent biologique
qui a eu un enfant d’un premier mariage et qui ensuite
a changé de vie ; vous avez également un parent
biologique qui a procédé à une insémination
artificielle ; et vous avez enfin un individu célibataire
qui est contraint de mentir aux services de la DDASS pour
pouvoir adopter un enfant et vit avec une autre personne de
même sexe. Et vous avez maintenant une voie nouvelle
qui utilise les nouvelles technologies. Un couple de femmes
se met en relation via Internet avec un couple d’hommes.
Ils font un enfant via insémination artificielle par
PMA, ou parfois en injectant par une seringue le sperme dans
l’utérus de la femme d’une manière
que l’on pourrait qualifier d’artisanale, tout
comme auparavant les femmes se faisaient avorter avec une
aiguille à tricoter.
Ce sont des phénomènes qui
existent et à partir du moment où ces phénomènes
existent et que des enfants existent, qu’ils sont nés,
soit parce qu’ils ont été conçus
d’un premier mariage, soit qu’ils ont été
conçus par insémination artificielle, soit parce
qu’ils ont été adoptés par une
personne célibataire, il faut en tenir compte.
• Est-il possible d’estimer
même approximativement ces cas ?
Les chiffres ne sont pas officiels. Les associations
de gays et lesbiennes parlent de 400000, dans d’autres
milieux on évoque le chiffre de 80000. Il y aurait
100000 enfants concernés. Nous sommes donc en face
d’un flou artistique. Mais en même temps les enfants
existent. En tant que législateur je ne peux pas accepter
que des enfants ne puissent pas bénéficier des
mêmes droits que les autres. De quelle nature ? En matière
d’une part, de sécurité et de garde, c’est-à-dire
que quand le parent biologique décède, le parent
coaccompagnant ne peut pas bénéficier de la
garde officielle. Il ne peut pas en bénéficier
parce qu’il n’est pas reconnu. Mon objectif dans
cette mission est de changer la loi sur l’adoption pour
permettre à un parent coaccompagnant d’adopter
l’enfant de son conjoint qui est le parent biologique,
donc de changer le droit de l’adoption pour qu’il
puisse l’adopter même s’il est du même
sexe. De même le fait de l’adoption permettra
le droit de succession et c’est ce qui m’intéresse
également. Pourquoi l’enfant ne pourrait-il pas
recevoir le patrimoine lors du décès ou même
en fin de vie de celui qui l’a élevé ?
L’adoption pourra permettre de le reconnaître
comme tel et de pouvoir transmettre ce patrimoine. Vous savez
que la loi dite « Sarkozy », la loi actuelle,
permet de transmettre jusqu’à 100000 euros. Les
grands-parents de ces enfants ne peuvent pas bénéficier
de cette loi pour transmettre leur patrimoine à ces
petits-enfants qui seront d’une part leurs petits-enfants
biologiques d’un côté, mais qui ne seront
pas des enfants biologiques de l’autre. Les grands-parents
coaccompagnants n’ont pas de statut aujourd’hui
alors que dans certains cas ils les élèvent
comme leurs propres grands-pères ou grands-mères
: c’est pour moi une injustice. C’est tout l’enjeu
dans ce domaine
• Comment placez-vous ces revendications dans le cadre
plus global des évolutions du modèle familial
?
La famille a beaucoup évolué.
Au début du siècle, les enfants de familles
divorcées étaient regardés avec suspicion.
Or la structure familiale a muté. La famille traditionnelle
demeure certes majoritaire. Mais les familles monoparentales
progressent ainsi que les familles recomposées. Enfin
se profile le cas des familles homoparentales.
Certains de mes collègues considèrent
que ce terme ne veut rien dire. Et c’est partiellement
vrai, dans droit actuel. La famille homoparentale ne veut
rien dire a priori. Sauf que, si on considère que les
parents coaccompagnants peuvent rentrer dans cette structure
familiale, pour moi ce mot prend un sens. Le législateur
ne doit pas toujours être en retard par rapport à
la société.
• Que pensez-vous de la question
de l’ouverture du mariage aux couples de même
sexe ?
Je ne dis pas que les unions homosexuelles
doivent être reconnues au même titre que le mariage
traditionnel. Je ne dis pas qu’il faut institutionnaliser
l’homosexualité. J’ai réfléchi
à cette question du mariage. Je me suis mariée
à l’Eglise à titre personnel et ce geste
est porteur de sens. Le mariage est à mon sens fondamentalement
constitué de l’amour de deux personnes qui ont
envie de construire quelque chose ensemble. Le mariage, c’est
d’abord pour moi l’union de deux personnes qui
s’aiment.
Quant à la question du mariage religieux,
j’y ai réfléchiMon opinion sur l’Eglise
se caractérise par un profond respect pour le Pape
[Jean-Paul II]. J’ai beaucoup de respect pour cet homme
qui est pour moi un grand politique et qui doit maintenir
une certaine morale. Cependant ce que nous montrent les textes,
par exemple la visite du Christ chez Zachée, le collecteur
d’impôts, ou à la femme adultère,
c’est un message d’amour et de tolérance.
« Que celui qui a jamais pêché lui jette
la première pierre », dit Jésus. Quand
il se fait laver les pieds par Marie Madeleine la prostituée,
il accomplit un geste fort. Je pense que c’est avant
tout un message d’amour et de paix que le catholicisme.
C’est pourquoi si en tant que législateur
je m’interroge et je prends position, c’est à
rebours de certaines convictions personnelles initiales. Certes
ma vision du mariage est celle d’une union entre un
homme et une femme. Mais si on veut respecter l’amour,
alors l’amour peut être une belle histoire entre
deux personnes de même sexe. Je me refuse à juger.
Certains me rétorquent que les couples
homosexuels sont davantage instables que les couples traditionnels.
Mais c’est surtout l’existence de ces enfants
qu’il faut prendre en compte. Je ne suis en revanche
pas favorable à l’adoption pour les pupilles
de la Nation car je crois que dans un premier temps il faut
agir par paliers comme nous l’avons fait pour la mission
sur la fin de vie : améliorer encore le fonctionnement
du Pacs, ce que Nicolas Sarkozy a fait en matière d’imposition.
Paradoxalement les homosexuels que nous rencontrons dans le
cadre de cette mission ne sont pas fondamentalement demandeurs
de mariage : ils sont demandeurs de respect, d’égalité.
Nous devons nous montrer respectueux de l’autre. Dès
lors qu’il n’y a pas atteinte à l’intérêt
d’autrui, tout jugement doit être prohibé.
Je ne veux pas qu’on les juge bien qu’une manifestation
comme la gay pride me dérange car elle accole à
la communauté gay une image de « folle »
qui est réductrice.
• Qu’en pensent vos électeurs
?
Je crois que les gens ont envie que leurs
représentants aient du courage, pas qu’ils leur
disent ce qu’ils ont envie d’entendre. Les gens
qui me connaissent savent que je suis quelqu’un de plutôt
traditionnel. Mais quand je leur dis que des enfants existent,
qu’il y a des droits qui sont pas les mêmes, les
gens comprennent. Si un de vos enfants ou de vos petits-enfants
vous annoncent qu’il est homosexuel, vous le considérerez
comme l’égal des autres. Les gens veulent du
courage. Ce que nous montre l’affaire Gaymard., c’est
précisément cela : les gens sont avant tout
en attente d’explication. En ces matières il
faut raisonner à vingt ans, à trente ans. Je
crois que les français attendent cela des hommes et
des femmes politiques.
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