Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 

Compte-rendu d'entretien
Martine Billard - député

 
Etes-vous favorable au mariage pour les couples de même sexe et pour quelles raisons ? Etes-vous favorable à l’extension du droit à l’adoption aux couples de même sexe ?

D’une part, je suis favorable à ce que les droits soient les mêmes pour tous: telle est ma conception de la démocratie.
D’autre part, j’estime que le mariage est une question d’amour. En effet, il n’est plus lié, aujourd’hui, à la procréation. Par conséquent, pourquoi faudrait-il limiter ce droit aux hétérosexuels ? D’ailleurs, les personnes hétérosexuelles qui se marient n’ont pas à prouver leur hétérosexualité. On voit donc que le mariage est un droit : on ne l’impose à personne. Il porte ainsi à conséquence financière (héritage, fiscalité, nationalité, séjour). Pour d’autres, le mariage est plus qu’un droit : c’est un symbole.

Peut-on dissocier mariage et adoption ? Les Français estiment-ils que si l’on accorde le mariage, on accordera l’adoption ? A l’inverse, jugent-ils le mariage incontournable pour permettre l’homoparentalité ? Le mariage et l’adoption seront-ils légalisés en même temps, comme ce fut le cas aux Pays-Bas ?

Les deux peuvent être dissociés. Le principal est l’amour porté à l’enfant. On n’est plus dans une structure familiale traditionnelle (un père + une mère + un enfant).
Mariage et adoption sont deux problèmes différents.
En outre, la loi ne dit pas si le mariage est hétérosexuel ou homosexuel : le seul moment où la différenciation sexuelle apparaît est lorsque le maire prononce la phrase correspondant à l’article 75 du Code Civil : « X, acceptez-vous de prendre Y pour épouse ? »

Avez-vous eu l’occasion de vous exprimer souvent sur le sujet ? Si non, pourquoi ? Le débat est-il ouvert en France sur ces questions ?

Si, souvent, car le débat est ouvert en France. Seulement, il est passionnel, comme le révèlent les différentes expressions des partisans ou des opposants à l’extension du droit au mariage aux couples de même sexe.

Comment percevez-vous l’impact de la célébration du mariage de Bègles par Noël Mamère, le 5 juin 2004 ? Est-ce que cette « provocation » (N. Mamère) a fait « reculer le débat » (J.-L. Roméro), en brusquant les électeurs ? Qu’avez-vous pensé de la décision d’annulation du Tribunal de Bordeaux ? Pensez-vous que cette action donnera lieu à des suites politiques et législatives ?

Ce qui s’est passé à Bègles était nécessaire, car on a franchement posé la question aux Français : êtes-vous favorable au mariage gay ? Des gens se sont rendus compte qu’il n’était pas impossible d’unir deux personnes de même sexe. Par ailleurs, les enquêtes d’opinion réalisées à cette époque démontraient que les Français étaient majoritairement favorable à cette mesure.
D’ici 2007, le débat ne va sans doute pas revenir, d’autant plus que Dominique de Villepin a été nommé à Matignon. Lors de la prochaine campagne présidentielle, les Verts défendront la position des « pro » (mariage et adoption) mais çà ne sera pas le point central de notre programme. Cela dit, 2007 sera certainement un contexte favorable pour défendre cette position : regardons la loi qui vient d’être votée en Espagne, pays très catholique.

Comment jugez-vous l’état du débat au sein du PS ? On peut se demander si la gauche de gouvernement, qui est contrainte sur des questions socioéconomiques à un certain réalisme, n’a-t-elle pas d’autre choix que de se saisir des questions « sociétales » comme le mariage gay afin d’affirmer son altérité vis-à-vis de la droite gouvernementale ? La revendication du mariage sera-t-elle dans le programme des Verts en 2007 ? et du PS ? et du PCF ?

Si en 2007, les Verts défendront les deux mesures, mariage et adoption, ce sera plus compliqué pour le PS. En effet, une partie des socialistes refusent de faire du mariage et de l’homoparentalité un même problème. Du coup, ils s’opposent au mariage parce qu’ils sont défavorables à l’homoparentalité. En ce moment, ils ont lancé un groupe de travail sur la question, qui avance.
Au PCF, la majorité des élus sont favorables au mariage et à l’adoption. Mme Jacquaint est publiquement intervenue sur le sujet. Dans le passé, le PCF s’est montré beaucoup plus circonspect à l’égard des homosexuels, voire de la contraception. Ainsi, l’épouse de Maurice Thorez, Jeannette Vermeersch, était ouvertement contre l’avortement, au motif que cela diminuait la population des travailleurs.

Souhaitez-vous élargir le droit de l’adoption, basé sur une loi du 11 juillet 1966, aux concubins homosexuels ? Aux pacsés homosexuels ? Aux célibataires homosexuels (extension de l’article 343-1 du Code civil qui accorde l’adoption aux célibataires sans mention de leur orientation sexuelle) ? Souhaitez-vous modifier les critères d’agrément à l’adoption accordée par la direction des affaires familiales ? L’orientation sexuelle doit-elle être prise en compte dans ce cas ? Estimez-vous que, sur ce thème, le droit est en retard sur la société ?

Aujourd’hui, l’adoption est accordée à une ou deux personnes. Un célibataire peut donc adopter. Or, quand on propose d’étendre le droit à l’adoption aux pacsés, les opposants nous répondent que ces concubins ou pacsés « n’ont qu’à se marier pour obtenir ce droit »… En fait, l’adoption accuse un certain retard par rapport à tout le droit de la parentalité. Il faudrait instaurer un droit, pour le conjoint de l’adoptant, sur l’enfant de ce dernier ; en effet, si l’adoptant meurt, en l’état actuel du droit, l’enfant se retrouvera de jure orphelin.

L’arrêt de la CEDH Fretté c./ France du 26 février 2002, conclut qu’un homosexuel célibataire ne peut pas bénéficier du droit à l’adoption. De même, les arrêts de la 1ère chambre civile des 11 juillet 1989 et 17 décembre 1997 admettent le caractère hétérosexuel du couple, notamment des concubins. L’arrêt CJCE du 31 mai 2001 réaffirme que le mariage est une union entre des personnes de sexes différents. Dès lors, pensez-vous que le changement viendra des tribunaux ou des parlements ? Dans le premier cas, de quels tribunaux ? Nationaux, européens ou communautaires ?

Le changement viendra certainement du parlement. Les juridictions sont rarement en avance sur la société.

Le Pacs. Croyez-vous que le Pacs ait été un marché de dupes : les conservateurs favorables à son adoption en espérant le substituer au mariage, les progressistes cherchant à l’obtenir pour préparer la voie au mariage gay ? Le 30 novembre 2004, un rapport portant sur les améliorations envisagées pour le Pacs a été remis au Garde des Sceaux. Pensez-vous que certaines dispositions seront modifiées d’ici à 2007, par exemple le régime patrimonial, passant de l’indivision à la séparation de biens ?

Le régime a été récemment modifié sur un plan fiscal et successoral. Il faut poursuivre ces améliorations du Pacs, notamment pour les étrangers : la signature du Pacs ne leur accorde que très difficilement, en pratique, un titre de séjour. Au surplus, aucun pacsé, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, n’aura le droit de toucher une pension de réversion en cas de décès du partenaire.
La conclusion d’un Pacs doit être signé au Tribunal d’Instance et non à la mairie. Ceci est non seulement absurde, mais tout aussi discriminant. Là encore, on peut déplorer le manque de courage des députés qui n’osent voter une loi déplaçant la procédure en mairie. Une raison explique cette attitude : de très nombreux députés sont maires…

Au sein des parlementaires, quelle opinion domine ? Que pensez-vous de la mission d’information parlementaire sur la famille et les droits de l’enfant ? Quelle conclusion augurez-vous ? Existe-il une opposition à ces positions au sein de la droite gouvernementale (Christine Boutin, Christian Vanneste) ? Le rapport de force joue-t-il en sa défaveur et si oui, de plus en plus ?
Cette mission est bloquée par certains députés UMP qui fondent leurs discours sur des conceptions traditionalistes de la famille. Cette aile conservatrice domine à droite ; si Villepin est nommé à Matignon, le gouvernement cherchera en priorité à flatter cette frange droitière de l’électorat UMP. Prenons l’exemple du congé parental : on a modifié le régime pour les couples qui en sont à leur 3è enfant. L'allocation a été rehaussée, mais sur un laps de temps restreint: derrière l'apparence d'une amélioration, c'est une régression qu'orchestre le gouvernement.

Que peut-on attendre de la France d’ici à 2007 ?

En conséquence de ce qui vient d’être dit, rien.

Existe-t-il un vote gay ? Si oui, n’est-il pas déterministe de penser que l’orientation sexuelle détermine l’intention de vote ?

Oui, il existe un vote gay, si l’on se trouve dans une situation où un candidat à une élection est homophobe. Face à lui, un front de refus se constituera pour lui barrer la route. Il s’agirait plus d’un vote progressiste [et gay-friendly] que d’un vote gay. En conséquence, je ne crois pas qu'il existe un électorat gay.
En 2001, Bertrand Delanoë a été élu maire de Paris essentiellement pour mettre fin au système Tiberi.

Existe-t-il une communauté gay ?

Non, la prise en compte de l’orientation sexuelle est trop réductrice pour pouvoir définir l’identité d’une personne. Ce terme est malvenu.

Peut-on parler de lobby homosexuel et que pensez-vous de son efficacité le cas échéant ?

« Lobby », je ne sais pas ; l’expression renvoie un peu à la théorie du complot… mais il est certain qu’il y a des associations qui défendent les intérêts des homosexuels, qui se battent pour des droits, comme il y en a pour les femmes, les buralistes, les paysans… Tout le monde a besoin d’association pour être représenté et défendu.

Comment percevez-vous l’état du débat au sein du PS ?

Au PS, Lionel Jospin et Ségolène Royal sont contre l’octroi du droit à l’adoption pour les couples homosexuels. Je comprends ces réticences au droit à l’adoption. A une certaine époque, beaucoup de personnes de gauche hésitaient à légaliser le divorce, parce que çà n’aurait pas été dans l’intérêt de l’enfant. Aujourd’hui, l’attitude du PS trahit plutôt un manque de courage à l’égard de ses électeurs. On rappellera que certains députés socialistes, surtout des régions rurales, étaient plutôt rétifs à l’idée de voter le Pacs.

Que pensez-vous de l’état du débat au sein de votre formation politique ?

Les Verts sont plus homogènes et ils sont plus jeunes… ce qui constitue également une faiblesse, d’autant plus que leurs adhérents ne sont pas issus, dans la plupart des cas, de milieux populaires.

Depuis le 21 avril 2002, il semble que le PS s’est placé dans une logique de défense du peuple et non des minorités, ce qui l’a conduit à considérer comme secondaire le problème des discriminations homophobes, comparé à l’importance de la lutte contre les inégalités sociales. Mais ces deux mouvements ne forment-ils pas le même créneau ?

En politique, c’est en partant des plus faibles et des plus discriminés que l’on pourra améliorer le sort de tout le monde. Homos, ouvriers, même combat ? peut-être…

Pensez-vous que la satisfaction de cette revendication soit inéluctable (ou irrésistible) à court ou moyen terme ?

Il n’y a pas de question inéluctable en politique. Cela dit, le fait de voir le fait religieux en pleine expansion en ce début de XXIè siècle est à maints égards inquiétants, car on n’est plus à l’abri d’un retournement de législation – ce qui nous ramènerait en arrière. Je pense notamment à toute la protection juridique de la condition féminine. Aux Etats-Unis, on a vu que la religion pouvait bloquer voire faire reculer les choses (cf. le rétablissement de l’enseignement des thèses créationnistes dans les écoles de certains états américains).

Etes-vous favorable à la création de rayons « gay » dans les bibliothèques de la ville de Paris (cf. proposition de Christophe Girard, adjoint au maire de Paris, chargé de la culture) ? Quels ouvrages y trouvera-t-on ? Montherlant et Proust seraient-ils mieux en littérature française ou en rayon « culture gay » ?

(Etonnement). Je ne suis pas spécialement favorable à la création de rayons d’études sur les questions gays dans les bibliothèques. Il ne faut surtout pas séparer les littératures, car on risquerait d’éloigner le lecteur de rayons qui pourraient l’intéresser. Très sérieusement, en mettant dans des bibliothèques publiques des livres gays militants, on risque des autodafés, et pas seulement de la part de particuliers un peu exaltés ! Il y a quelques années, lorsque j’étais bibliothécaire dans un établissement du 15è arrondissement appartenant à la ville de Paris, Chirac avait fait mettre des livres à l’index, parce qu’il présentait « une vision par trop manichéenne de l’esclavage et très pessimiste de la Shoah » ! Du coup, un classique de la littérature enfantine, Mon ami Frédéric, de Hans-Peter Richter, avait été mis de côté...

Peut-on considérer que l’ensemble associatif de défense des gays représente les convictions de l’ensemble des homosexuels de France ? Les associatifs gays s’obligent à défendre l’homoparentalité alors que de très nombreux homosexuels rechignent à copier les comportements hétérosexuels. Est-ce un constat exagéré ? Si non, est-ce un tabou ?

Ce n’est pas à moi de le juger. D'ailleurs qui peut en juger? Cette question se pose pour les gays comme dans d'autres secteurs de l'opinion. Il est vrai que certains homosexuels ne sont pas intéressés par la question.

Comment définir et traiter l’homophobie ?

On peut être opposé au mariage pour les couples homosexuels sans être taxé d’homophobie. En revanche, si l’on dit que les homosexuels ne peuvent pas se marier parce que c’est contre nature, là, on est dedans.
Il y a toujours une hiérarchie des batailles. Il ne faut pas oublier que c’est seulement au début des années 1970 que les droits des femmes ont commencé à rattrapé ceux des hommes.
Il est fondamental de se battre contre l’homophobie. C’est une situation vécue dès l’adolescence qui crée un climat dramatique pour le jeune homosexuel, tandis que l’Education nationale refuse toujours d’agréer des associations pour enseigner ces problèmes à l’école. Encore une fois, je déplore un fossé entre les paroles et les actes.

Que pensez-vous de la pénalisation des propos homophobes ? Aucune mesure « éducative » n’est prévue dans la loi instaurant la H.A.L.D.E.

Cette Haute autorité manquera de moyens. Elle ne peut se saisir que sur les cas de discriminations déjà décrites dans la loi. Elle crée néanmoins une avancée, en la personne du médiateur.

La répression de l’homophobie entérine-t-elle une dégradation de la liberté de la presse ? Lors du débat sur le projet de loi visant à la répression des propos homophobes, la Commission Nationale Consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait fait part de ses préoccupations quant au respect de la liberté d’expression en cas de vote de ce texte...

Certes, à partir du moment où l’on met des bornes, il y a une atteinte à la liberté. Mais sur le racisme, la prégnance de la législation est inéluctable. Or, on estime justement que cette législation visant à réprimer les propos homophobes présente un risque d’atteinte à la liberté de la presse. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une législation antiraciste. Il y a deux poids, deux mesures.
La meilleure solution reste un effort de pédagogie et d’éducation, surtout envers les enfants dont il ne servirait à rien de les envoyer en prison. Même si l’homophobie n’est qu’une manifestation orale, un discours, un propos, il faut savoir dire STOP ! à un moment donné. On ne peut pas dire n’importe quoi. Quand quelqu’un tient des propos homophobes, on ne sait jamais si c’est un délire personnel ou si cette personne va passer à l’acte. C’est pourquoi je recommande de faire de la prévention et de signaler les personnes dangereuses. En somme, le législateur est appelé à mettre des bornes. Souvenons-nous de la monté de l’antisémitisme en France avant la Seconde Guerre Mondiale. A l’époque, on n’a pas beaucoup réagi. On a vu ce que çà a donné…

Sommes-nous toujours dans un ordre hétérosexué, i.e. dominé par les hétérosexuels ? Considérez-vous l’hétérosexualité comme une norme à laquelle l’homosexualité ferait exception ? Est-ce qu’une simple loi peut changer l’ordre hétérosexué (s’il existe) ? Didier Eribon pense que toute expression d’une normativité hétérosexuelle est inacceptable aux yeux des homosexuels et qu’il faut remplacer cette conception par une normativité issue de la théorie des « gender » (homo, hétéro, bi, trans). Pensez-vous qu’une telle révolution anthropologique est possible ? Pensez-vous que la loi puisse accomplir cette révolution anthropologique ou que cette pensée soit irréaliste ?

La société a beaucoup avancé. Aujourd’hui, on rencontre partout des familles recomposées.
Le modèle hétérosexuel est indéniable : on n’a pas déstabilisé l’homme en libérant la femme, ou en élevant sa place dans la société. On le voit bien à propos des débats sur la place de l'homme dans notre société. La compétition dans une société, c'est le triomphe du mâle. Si le droit au mariage peut changer, la loi, et elle seule, ne peut pas modifier des structures sociales profondes. Une fois que les hommes politiques auront reconnu que la légalisation du mariage homosexuel est approuvée par la majorité des Français (comme le révèlent les plus récentes enquêtes), c’est à cet instant que la loi apparaîtra.
En ce qui concerne les genres, je n’ai pas d’avis sur la question.

La fracture Paris / Province est-elle toujours aussi vivace dans le quotidien des homos (avantages de Paris : anonymat et forte culture gay) ?
Oui, je dirais plutôt une fracture Paris / grandes villes, mais je suis consciente que mon avis est biaisé par ma situation géographique (1er – 2è – 3è – 4è arr.).

Que pensez-vous de l’outing ? Faut-il instaurer un délit de « outing » ?

Je suis tout à fait contre la dénonciation : l’orientation sexuelle regarde chacun. Il est vrai que l’hypocrisie de certains hommes politiques, qui s’affichent avec femme et enfant tout en ayant des enfants adultérins, a de quoi énerver. Une certaine cohérence est nécessaire.

Peut-on, selon vous, être homosexuel et être légitimement opposé au mariage homosexuel et à l’homoparentalité, entre autres revendications ?

Les hommes politiques ont l’obligation d’être cohérent, ce qui ne signifie pas que R. Donnedieu de Vabres, qui a été dénoncé, ne puisse s’opposer au Pacs ou au mariage homosexuel. On ne peut pas révéler l’homosexualité d’une personne à sa place et sans son consentement.

Pensez-vous, comme le sociologue Eric Fassin, que le débat évoluera plus rapidement en France lorsque des pays du Sud de l’Europe adopteront des lois plus « progressistes », avant les Français, alors que ces derniers ont tendance à les mépriser sur le plan de l’évolution des mœurs ? La France est-elle un pays homophobe ? Est-elle en retard ?

Ce qui s’est passé en Espagne aura un certain impact en France. Cela dit, l’évolution que propose le raisonnement d’Eric Fassin n’est pas automatique. La France est en retard, mais elle reste dans la moyenne européenne. Certains Etats sont beaucoup plus arriérés : pensez qu’à Malte, le divorce n’est toujours pas autorisé.

Comparaison européenne. Comment évaluez-vous la législation française quant aux unions de même sexe par comparaison avec les législations des autres pays comparables ?
* aux Pays-Bas, par la loi du 01.04.2001
* au Québec, depuis juin 2002
* au Danemark, depuis mai 2002
* en Grande-Bretagne, par la loi du 05.11.2002
* en Suède, depuis novembre 2003
+ le dernier : l’Espagne (est-ce une surprise ?)

En Espagne, la législation n’est pas si fantastique que cela. D’ailleurs, il faut distinguer ce que dit le droit et son application dans la société. L’évolution de la société semble se faire beaucoup plus lentement. Cf. système de crèche en Hollande : les femmes sont obligées de travailler beaucoup, mais à mi-temps. Le système juridique de la Suède est intéressant, mais est parfois caricatural.

De 1982 (dépénalisation de l’homosexualité) à 1999 (vote du Pacs), le législateur n’a pratiquement pas légiféré sur les questions liées à l’homosexualité. Aujourd’hui, ces questions semblent au centre d’un véritable débat de société. A quoi attribuez-vous cette accélération ? Est-ce dû à une simple évolution des mentalités ? Est-ce une question de génération ?

Une nouvelle génération arrive, en effet, mais les hommes politiques restent toujours aussi vieux et ne relayent pas les revendications de ladite génération. Je pense que la limitation du cumul de mandat présente un avantage : si un élu ne peut être élu une troisième fois pour un même poste, il consacrera son second mandant à des fins dénuées d’électoralisme et pourra ainsi voter les projets de lois qu’il n’ose pas adopter actuellement. Exemple type: la légalisation du mariage homosexuel.

Les unions pour les couples de même sexe dans le traité visant à instaurer une Constitution pour l’Union européenne.
Ce traité instituait une égalité des droits pour tous les citoyens :
- Article II-80 : Égalité en droit. « Toutes les personnes sont égales en droit. »
- Article II-83 : Égalité entre femmes et hommes. « L’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération. Le principe de l’égalité n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté. »

Dans ce texte, l’Union reconnaît la dissolution du mariage dans le cadre des législations nationales. Le problème, c’est qu’il y a très peu de protection autour de cela, ce qui ne prévient pas d’éventuels reculs. C’est dommage, quand on pense à quel point les femmes se sont battues pour leur droit. Il y a donc deux non-avancées dans ce texte: sur le divorce (Malte) et sur la contraception. Le but n'était pas d'imposer mais on aurait pu comme pour d'autres articles reconnaître le droit au divorce tout en renvoyant ses modalités de mise en œuvre aux législations nationales. En revanche, ce qui est positif, c'est qu'il n'interdit pas le mariage pour les couples de même sexe.

Sociologie du mariage gay

A Bègles, les mariés venaient de milieux populaires. Sans doute, des sondages révèlent que l’homosexualité est mieux acceptée dans les milieux populaires. Toutefois, ce qui importe le plus est l’image que se font les hommes politiques des homosexuels ; or, ils s’imaginent que la majorité des Français est contre le mariage des couples de même sexe. En ce sens, je regrette que les représentants du peuple aient perdu le sens du courage en politique. N’oublions pas que lorsque Robert Badinter a aboli la peine de mort en France, la majorité de ses concitoyens y était hostile.

Pensez-vous réellement que la revendication du mariage gay marque le retour en force de l’institution matrimoniale ?

J’aimerais rappeler que le mariage comporte deux dimensions susmentionnées :
- le mariage peut être considéré comme un droit. De fait, l’octroi de ce droit aux unions de même sexe s’inscrit dans un mouvement d’égalisation des droits.
- le mariage contient une très forte dimension symbolique, sinon, pourquoi tant de personnes qui ne pratiquent pas se marieraient-ils à l’église ?

Quid des transsexuels (ou transgenres) ? Quel est le niveau de leur reconnaissance dans la société ? Est-ce que ceci détermine la prise en compte, par les hommes politiques, de leurs souffrances ?

Nous [les députés Verts] avons déjà eu l’occasion de déposer des amendements sur le sujet. Nous ne sommes pas seuls à les défendre, le PS nous suit sur ces questions – sans toutefois déposer des amendements. Pour l’instant, la législation sur les transgenres n’avance pas. Ils ne sont que 2 à 3000 et donc leur poids électoral est faible.

Que pensez-vous de l’annulation du mariage des deux transsexuels de Reuil-Malmaison ?

Le refus d’accorder le mariage à ce couple de transsexuel n’est pas justifié. Au passage, on est face à une situation où deux personnes de sexe différent souhaitent se marier. D’ailleurs, le motif du refus, à savoir « l’absence de projet matrimonial », n’existe pas en droit civil. Imaginons le nombre de mariage sans procréation qu’il faudrait refuser pour absence de projet matrimonial… Si les deux futurs époux vont gagner à coup sûr, les autorités ont décidé, de leur côté, d’opter pour une stratégie d’usure car l’un des deux est étranger : on pourra toujours le menacer en lui retirant sa carte de séjour.

Que pensez-vous de la loi sur la parité ?

Si la loi sur l’égalité salariale est une loi « bavarde » pour reprendre l’expression du Président Jean-Louis Debré, la loi sur la « Parité » était utile. Incontestablement, c’est un progrès que l’on peut constater en analysant l’évolution de la composition des conseils municipaux et des conseils régionaux. Mais attention : çà ne fonctionne que lorsque l’on a des scrutins de liste. Mme Marie-Jo Zimmermann, député UMP de la 3è circonscription de Moselle et présidente de la délégation de l’Assemblée Nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, propose d’instituer une parité des élus, et non des candidats, ce qui suppose que les partis doivent présenter un certain nombre de femmes candidates dans les circonscriptions « gagnables ». Comment le mesurer ? D’abord en comparant les taux d’élections des femmes et des hommes et en tachant de limiter les écarts obtenus. Ensuite, je le répète, il faut limiter le nombre des cumuls de mandats électoraux : ainsi, des postes se libèreront et l’on verra plus de femmes sur les bancs de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Enfin, en ce qui attrait aux conseils municipaux, on peut se féliciter de l’augmentation significative de la participation des femmes en leur sein, mais on regrettera qu’elles soient si souvent cantonnées aux tâches secondaires telles les affaires familiales.

Démographie: peut-on évaluer le nombre de cellules homoparentales en France ? Combien d’enfants sont concernés ?

D’un point de vue démographique, on estime à environ 100000 le nombre d’enfants vivant dans des cellules homoparentales, et le chiffre s’accroît.
Le plus gros problème de ces enfants, c’est le regard des autres et c’est là que doit intervenir l’éducation nationale. Les programmes sont organisés par décrets. Il n’est donc pas nécessaire de voter une loi pour mettre en place des enseignements spécialisés de sensibilisation sur ces sujets. Ce qu’il manque, c’est une volonté politique suffisamment courageuse pour voter ces décrets. La situation actuelle de l’éducation nationale est loin de remplir ces exigences. Par exemple, il y a quelques mois, l’association anti-IVG « grossesse secours » est intervenue dans des salles de classes pour y propager un discours contre la contraception avec l'autorisation du ministère.
En outre, je regrette que dans la loi Fillon sur l’école soient absentes des mesures de lutte contre les discriminations. Or c'est par l'éducation que les choses changeront.
Autre point important : il n’y a pas assez de mesures de lutte contre les discriminations dans les PME, qui emploient pourtant la grande majorité des salariés français. Les moyens à mettre en œuvre pour y arriver sont pourtant si simples…

Concernant le travail législatif de Martine Billard, vous pouvez consulter le document suivant en cliquant dessus :

Proposition de loi clarifiant l'accès au mariage des couples de même sexe