Projet Collectif Sciences Po 2005 : Mariage Homosexuel et homoparentalité
 

Compte-rendu d'entretien
Jean-Luc Romero -


Introduction : le point sur les mentalités

Ces derniers temps, les hommes politiques se sont rendus compte que les homosexuels ont souffert. Ils ont changé car les Français ont changé et sont devenus plus tolérants et ouverts à la différence. Cela dit, ils ne tiennent jamais le même discours selon le lieu d’où ils parlent : la fracture Paris/Province semble criante. Deux éléments fondamentaux ont fait évolué les mentalités : le débat sur le Pacs et la pandémie du Sida. Cette dernière lame de fond a conduit paradoxalement à donner plus de respectabilité aux homosexuels, car ils ont été les premiers à porter cette maladie.
Les hommes politiques, notamment à droite, ont beaucoup évolué. Renaud Dutreil, que l’on voyait en tête des manifestations anti-Pacs revêtir un T-shirt estampillé « Pacs out », a beaucoup réfléchi et évolué sur le sujet. L’évolution des mentalités s’explique aussi par le fait que la presse quotidienne régionale (PQR) a su accompagner un certain changement dans les mentalités au moment du Pacs : contrairement à ce que pensait la droite parlementaire. La PQR n’était pas entièrement soumise aux édiles locaux. Par exemple, cette presse a relayé les difficultés des homosexuels de vivre en Province (en grossissant le trait). De plus, la Télévision a participé à ce débat de manière très favorable, en montrant les homosexuels sous un meilleur jour, cessant de caricaturer l’homosexualité.

« Boutin et moi »

Les rapports que Jean-Luc Romero entretient avec Christine Boutin sont loin d’être exécrables. Cette femme est sincère, chaleureuse et dégage un certain charme. Problème : elle défend une société dépassée. Il n’y a pas de méchanceté chez elle, mais les homosexuels aimeraient qu’elle n’éprouve pas que de la « compassion » (son expression) à leur égard. Juste du respect !

Sida et homosexualité : les risques d’un amalgame

Si l’on propose à J.-L. Romero d’intervenir lors d’une conférence sur l’homosexualité en lui conseillant de ne pas évoquer la maladie, il refusera d’y participer. Il ne faut pas que les homosexuels oublient l’épidémie de Sida. Les homosexuels ne peuvent pas renier une partie de leur histoire. Au début, ils ont porté le problème du Sida seuls et à bras le corps. Aujourd’hui encore, 1/10è des homosexuels parisiens sont sidéens…
Les gays n’ont pas une sexualité plus protégée que celle des hétéros. Par contre, les toxicomanes ne sont presque plus touchés par le Sida car ils ont été très bien responsables. A l’inverse, on a pu constater un net relâchement chez les homosexuels. Chez eux, l’union est moins solide, ne serait-ce que juridiquement.

Le mariage homosexuel

Certes, il peut être symbolique, mais il faut tout de même se battre pour cette institution afin de parachever le combat pour l’égalité que porte le mouvement homosexuel. C’est un mouvement de fond qui touche tous les pays occidentaux. Dans moins de 10 ans – pour la France, aux prochaines législatives (2007), la gauche va le proposer – beaucoup de pays européens auront changé leur législation pour permettre l’extension du mariage aux conjoints de même sexe.
Cette lutte est aussi l’affirmation d’un certain légalisme. J.-L. Romero n’encourage pas les homos à détourner la loi ; il regrette la désobéissance civile prônée par les Verts, et déplore encore le mariage célébré par Noël Mamère à Bègles. Selon lui, malgré sa sincérité et donc involontairement, N. Mamère a fait reculé la cause du mariage homosexuel dans l’opinion.

La caution homosexuelle de l’UMP ?

M. Romero est président de son propre parti « Aujourd’hui, Autrement ». Ainsi, il a les coudées franches pour parler plus librement qu’au secrétariat national de l’UMP. Son parti est affilié au vieux parti radical valoisien, donc indirectement lié à l’UMP. Dans ses deux derniers livres, Lettre à une droite maladroite et Je n’ai jamais connu Amsterdam au printemps [Ramsay – 2004], il ne développe pas seulement des thèses dites « progressistes » sur l’homoparentalité, mais aussi sur d’autres thèmes comme l’euthanasie, la toxicomanie, la légalisation du cannabis, les raves parties, ou encore l’abaissement de la majorité à 16 ans. Bien que les médias ne retiennent trop souvent que ses propos sur l’homosexualité, M. Romero s’attaque à bien d’autres problèmes de société, car il estime que tout doit avancer d’un bloc, et non sujet après sujet : « il faut tenir un même discours global sur tous les sujets de société ».

Politique et société

En France, les hommes politiques ont la fâcheuse tendance à survoler les questions de société. Or, suite à l’accélération de la mondialisation, de la construction européenne et de la décentralisation, leurs marges de manœuvres se sont considérablement réduites. Les sujets, sur lesquels les parlementaires ont réellement prise, sont justement les questions sociétales. Encore une fois, les hommes politiques comprennent et appréhendent mal l’évolution de notre société.

Un problème de génération

Si DSK et Fabius sont favorables au mariage gay, c’est par conviction. Leur milieu « bobo » les pousse à le penser. Jospin appartient à une autre génération. Plus les gens sont jeunes, plus ils sont favorables au mariage homosexuel. N’oublions pas que Jospin n’a pas fait le Pacs avec enthousiasme : d’ailleurs, c’était la proposition de deux députés [PPL de MM. Bloche et Michel] et non un projet gouvernemental.

Egalité des droits, différenciation et tentation communautaire

Les homosexuels semblent aligner leurs comportements sur ceux des hétérosexuels.
La « marche des fiertés » dessert-elle la cause homosexuelle ? Pour l’instant, non... A l’avenir, il faudra peut-être renouveler la formule – ce qui a déjà été fait d’ailleurs.
Les dernières « marches » ont changé. Le traitement médiatique est plus sérieux et moins centré sur les exhibitions. Par exemple, les journalistes interrogent plutôt les hommes politiques et les représentants des homosexuels des Grandes Ecoles ou des entreprises sur leurs revendications sociales et politiques. Aujourd’hui, ce que l’on appelait la « gay pride » est devenue la plus grande manifestation de France (500 000 personnes) : c’est lourd de symbole et porteur d’espoir.

Etre homosexuel en banlieue

M. Romero raconte une anecdote saisissante. Un jour, un « beur » prend un RDV pour le rencontrer à sa permanence d’élus, sans donner de motif de visite. Il finit par avouer, devant Romero, la raison de sa venue : « Tous les week-ends, dit-il, je vais casser du PD dans les lieux de dragues. » Problème : cette même personne est également homosexuelle… et se force à suivre ses congénères homophobes, pour ne pas passer pour un « homo » auprès d’eux. Ici, tout s’accumule : misères sentimentale, professionnelle et sociale. Dans les milieux d’origine maghrébine, l’homosexualité est plus difficile à vivre que dans les milieux juifs, où l’on retrouve une moins grande indigence matérielle.

Le lobby gay

Le mot lobby est acceptable, mais l’expression « pouvoir homosexuel » est condamnable. Les néos homophobes ont inventé cette idée de pouvoir pour renouveler leur discours homophobe, d’autant que la loi leur interdit désormais les insultes. Historiquement, la gauche a toujours été plus proche des minorités ; la droite a eu plus de mal à accepter les différences. Elle semble évoluer et comprendre que les différences peuvent être une richesse dans une société.

Homoparentalité et études sur l’adoption

La loi du 11 juillet 1966 doit être revue car son esprit a été dévoyé. Pendant longtemps, on a craint l’homoparentalité par une assimilation « fumeuse » et inacceptable de l’homosexualité à la pédophilie. Evidemment, la majorité des pédophiles sont hétérosexuels, et bien sûr l’immense majorité des homosexuels ne sont pas pédophiles. Comme l’adoption est accordée aux célibataires de plus de 28 ans, il suffit qu’un homosexuel cache son homosexualité pour pouvoir adopter ! Peut-être est-ce parce que la loi suppose que les célibataires (re)formeront bientôt un couple.
En France, il n’y a pas d’études sur l’homoparentalité car elles ne sont pas financées. Pourquoi ? Parce que l’on se doute - ou plutôt l’on craint - qu’elles soient favorables à l’adoption par les couples homosexuels. D’ailleurs, le doute qui subsiste en France à la lecture des études américaines sur ce sujet semble assez irrationnel. Aux E.U.A., l’Académie des pédiatres et l’Académie des psychiatres, qui comptent chacune des dizaines de milliers de membres, sont majoritairement favorables à l’adoption.

Le sort des enfants de couples de même sexe

Très souvent, ces enfants sont sensibles et font preuve d’une certaine maturité. Du coup, ils se concentrent sur leurs études et sont meilleurs à l’école – c’est surtout le cas des enfants de couples lesbiens, dont la réussite scolaire est la même que celle des enfants de couples hétérosexuels solides (cf. Claude Habib). Des études, américaines toujours, ont démontré que les enfants qui réussissaient le mieux étaient éduqués par des couples H/F ou lesbiens. Les enfants de couples de même sexe se trouvent dans la situation sociale des enfants des divorcés ou des « filles-mères » des années 1960-70.
Pour les couples homosexuels masculin, l’absence de mère est à relativiser, car l’image de la femme est omniprésente dans notre société [matriarcale]. Acquis de luttes politiques longues et inachevées, le droit à l’adoption ne sera pas « gaspillé » par les homosexuels. De fait, [et comme l’exemple hollandais le montre], ils témoigneront d’une plus grande attention à l’égard de leurs enfants.
Revenons un instant sur le mariage : arrêtons d’être hypocrites. Si l’on accorde le mariage, on accordera l’adoption !
1968 a fait évoluer la famille. Les élus doivent regarder en face les nouvelles formes de conjugalité et ajuster le droit en conséquence. Si la coparentalité éclate, le régime de la garde d’enfants pourra s’y adapter sur le modèle de celui des divorcés hétérosexuels. De toute façon, les solutions de droit seront apportées quand les problèmes surgiront. Le droit ne peut plus rester aveugle face aux situations familiales nouvelles telles le « gay baby boom » (évalué à 17 millions d’enfants aux E.U.A. ; 200.000 en France selon l’APGL). Les jeunes homosexuels sont plus libérés car ils vivent mieux leur homosexualité et souhaitent avoir des enfants.

Retour sur Bègles

Le mariage de Bègles a fait reculer cette cause dans les sondages. Les Français sont plus légalistes que l’on croît. En effet, ce qui s’est passé à Bègles a choqué des gens a priori favorables au mariage homosexuel. Cette affaire était beaucoup trop médiatique et people : limousine, caméras dans la mairie et la voiture, etc. Le mariage a été vendu à la presse et ça n’a malheureusement pas fait avancer la cause, même si je respecte le geste militant de ce premier couple homosexuel à avoir franchi le pas d’une mairie pour se marier.

Et au Parlement ?

A l’UMP, les parlementaires n’évoluent pas aussi vite que nos concitoyens. Jean-Louis Debré a accompli une action très symbolique en nommant Patrick Bloche président de la mission parlementaire d’information sur la famille et les droits des enfants. Il présidera les débats. Valérie Pécresse rédigera le rapport des travaux.
Il y a une vraie résistance à droite sur le mariage homosexuel, car les élus de l’UMP sont plus conservateurs que ne l’est la société. Il est pourtant légitime d’évoquer ce sujet dans une mission d’information sur la famille. On peut avoir une lueur d’espérance en ce que les jeunes hommes politiques sont moins hypocrites aujourd’hui, notamment en province.
Aujourd’hui, on estime que les homosexuels représentent entre 5 et 8 % d’une société occidentale. A Paris, la moitié des familles sont monoparentales : c’est une réalité que le politique se doit de reconnaître sans pour autant porter un jugement moral. Du coup, aujourd’hui, plus personne, sur l’échiquier politique français, ne défendra la famille nucléaire traditionnelle. Plus personne ne veut condamner les familles monoparentales. D’ailleurs, ce n’est pas l’homosexualité des hommes politiques qui dérange les Français, mais leurs hypocrisies, leurs mensonges.

L’effet Delanoë

Il existe, mais pas chez les hommes politiques. Il est clair que Paris, ville tentaculaire et anonyme, attire plus les homosexuels que la campagne berrichonne. Si la gauche l’a emporté à Paris en rassemblant les suffrages gays, ce n’est pas parce que l’actuel maire est homosexuel, mais parce que la droite s’est montrée très méprisante à leur égard .

Comportement sexuel et identité

Jean-Luc Romero parle d’une « identité sexuelle ». Il est contre le communautarisme, car ce phénomène enferme les gens dans leur identité sexuelle, au risque d’atteindre leur intégration et leur autonomie.
Néanmoins, ce sont souvent les hétéros qui copient les homos. Exemple: des endroits catalogués « homos » comme le Queen sont envahis par les hétéros – exceptés les endroits de « consommation sexuelle ». Exemple : dans la mode.
Jean-Luc Romero réfute souvent les arguments qui différencieraient les homos des hétéros. Par exemple, si le jour de la gay pride, on observe de nombreux homosexuels faisant preuve d’excentricité sur des chars, on voit autant d’hétérosexuels aussi exubérants lors de la techno parade. Autre exemple : si les homos font plus régulièrement la fête, c’est parce qu’ils n’ont pas - pour la plupart aujourd’hui - d’enfants et peuvent donc mécaniquement sortir plus souvent. Certains ont aussi besoin de se libérer d’une pression sociale pas toujours apaisante. Au passage, dire que les homos ont un niveau de vie plus élevé que la moyenne des Français est un fantasme.
L’association « L’autre cercle », présentée comme le MEDEF gay, n’accrédite pas nécessairement la thèse selon laquelle le comportement sexuel d’un chef d’entreprise peut influencer sa politique de recrutement, au risque de commettre des discriminations. Seulement voilà, les entreprises dirigées par des gays éprouvent un besoin logique de se protéger et de se défendre juridiquement pour obtenir des autorisations d’implantation, de bars gays par exemple en province où certains élus locaux traînent les pieds.

Prendre les questions de société comme un bloc : le cas Gay-lib

La droite doit évoluer sur toutes les questions de société : l’homosexualité en est une parmi d’autres - toxicomanie, euthanasie, raves parties, pornographie, abaissement de la majorité, etc. L’initiative de Gay-lib est intéressante mais aujourd’hui, elle a moins de sens : le projet de loi sur l’homophobie est passé à l’AN, une mission d’information sur la famille a été lancée et le Sida est décrété « grande cause nationale pour 2005 ». De plus, je crois qu’il est plus stratégique de travailler - comme nous l’avons fait à On Est Là ! - avec des hétéros qui seront mieux entendus s’ils défendent, avec nous, l’égalité des droits entre homos et hétéros. De plus, il me semble que la droite doit évoluer sur toutes les questions de société : pas seulement sur l’homosexualité.
A droite comme à gauche, on cherche des figures représentatives de l’évolution de la société. Ex : Boutih, Désir, Delanoë. En tout cas, les mentalités et les politiques publiques évoluent plus rapidement sur l’homosexualité que sur la toxicomanie.
En ce qui concerne l’évolution de la pandémie de Sida, M. Romero est des plus pessimistes. Selon lui, la gauche n’a pas toujours été à la hauteur dans le traitement de la maladie (Cf. Fabius refusant d’accorder la vente-libre des seringues en pharmacie pour des raisons purement électoralistes. Des gens sont morts, mais tout le monde s’en moquait puisqu’il s’agissait de toxicomanes…). En 1990, 25 % des Sidéens étaient toxicomanes. En 2005, cette proportion est tombée à moins de 3 %. En revanche, plus de 33% sont homosexuels – 1 gay sur 10 est séropositif à Paris. Les Pr Kazatchkine et Rozenbaum (co-découvreur du virus avec le Pr Montagnier) sont aussi très inquiets de l’évolution actuelle de la pandémie chez les homosexuels et les hétérosexuels qui sont désormais la population majoritaire touchée par le VIH.